MEMOIRE COMPLEMENTAIRE DE NOTRE AVOCAT MAITRE SAYN POUR FAIRE APPEL DU NON LIEU /AUDIENCE DU 22/02/2018




Maître Bertrand SAYN
Avocat – Toque 978
119 rue Pierre Corneille
69003 LYON
Tél. 04.37.43.08.94
Fax. 04.78.82.77.24
Cour d’appel de Lyon
Chambre de l’Instruction
N° d’instruction : JICABDOY11000089
N° de Parquet : 11222000146








MÉMOIRE COMPLEMENTAIRE
APPEL D’UNE ORDONNANCE DE NON-LIEU



POUR :

-- ATTAC Rhône, représenté par XXXXX ;

- les Alternatifs, fédération du Rhône, représenté par XXXXX ;

- COVRA C/O G. LEMEE, collectif lyonnais, représenté par XXXXX ;

- FCPE, Fédération des Conseils de Parents d’Elèves du Rhône, représentée par XXXXX ;

- Fédération Syndical Unitaire (FSU) représentée par XXXXX ;

- GAUCHE ALTER LYON, représentée par XXXXX ;

- GAUCHE UNITAIRE, représentée par XXXXX ;

- Ligue des Droits de l’Homme, représentée par XXXXXX ;

- MRAP représenté par XXXXX ;

- NPA 69, Nouveau Parti Anticapitaliste, section Rhône, représenté par XXXXXX ;

- Parti Communiste Français, représenté par XXXXXX ;

- Parti de Gauche représenté par;

- Planning Familial 69, le mouvement français pour le planning familial, représenté par XXXXXX ;

- SAF, Syndicat des Avocats de France, représenté par XXXXX ;

- SOS Racisme Rhône, représenté par XXXXXX;

- UD  CGT du Rhône, représenté par XXXXXX ;

- Union Syndicale Solidaires Rhône, représentée par XXXXXXX ;

- Union Nationale des Etudiants de France (UNEF), représentée par XXXXXX ;

- Union Nationale Lycéenne, représentée par XXXXXXX ;

- Mme Violaine GARCIA, née le 4 décembre 1991 à DECINES, de nationalité française, demeurant 11 Ter rue du professeur Roux à 69200 VENISSIEUX ;
- Mme Mathilda MILLET, née le 11 avril 1992 à RENNES, de nationalité française, demeurant 10 rue de la Bombarde à 69005 LYON ;
- Mme Florence DEL CANTO, née 28 mars 1960 à LYON, de nationalité française, représentant son fils M. Raphaël PELLET, né le 9 décembre 1994, demeurant 18 allée des Dombes à 69330 JONAGE ;
- Mme Leïla MILLET, née le 13 mai 1989 à RENNES, de nationalité française, demeurant 128 rue Paul Bert à 69003 LYON ;
- Mme Nora BONAL, née le 21 juin 1987 à MARTIGUES, de nationalité française, demeurant 10 rue d’Aguesseau à 69007 LYON ;
- Mme Catherine VINCENSINI, née le 21 janvier 1966 à CHAMBERY, de nationalité française, demeurant 21 rue Pasteur à 69007 LYON ;
- M. Arnaud RIVIERE DE LA MURE, né le 21 décembre 1989 à CHARTRES, de nationalité française, demeurant 2 Grande rue de la guillotière à 69007 LYON.
- Marc AURAY,
- Mlle PREVOST,
- Mlle BENKHEDA,
- Mlle TETON,
- M. DAMIEN SIMONIN,
- M. COTTETE EMARD,
- Mlle RECOLLON MINGAT,
- M. FRIBOURG,
Ayant pour Avocat, Maître Bertrand SAYN, Avocat au Barreau de LYON y exerçant 119 rue Pierre Corneille à LYON (69003) - Toque 978,


EN PRESENCE DE :


- M. DOUTRE, témoin assisté ;
Ayant pour Avocat, Maître Gabriel VERSINI, Avocat au Barreau de LYON ;


- M. le Préfet GUERAULT, témoin assisté ;
Ayant pour Avocat, Maître DOMENACH, Avocat au Barreau de PARIS ;


- M. Mme le Représentant du Parquet Général.




PLAISE A LA CHAMBRE DE L’INSTRUCTION



Les parties civiles ont relevé appel le 8 février 2017 de l’ordonnance de non-lieu rendue dans cette affaire le 2 février 2017.

Cet appel est recevable. Il est également fondé.

I/ Rappel des faits

Les personnes et organisations signataires se sont constituées parties civiles ensuite d’ « une garde à vue à ciel ouvert » de plusieurs centaines de personnes d’une durée de six heures dont elles ont été victimes le 21 octobre 2010, place BELLECOUR, à LYON.

Les plaignants ont porté plainte le 21 janvier 2011 entre les mains de M. le Procureur de la République de LYON qui ne diligentait aucun acte d’enquête relativement aux faits dénoncés pourtant d’une nature exceptionnelle à LYON, au moins par leur ampleur.

Sur la difficulté d’obtenir des enquêtes effectives mettant en cause le fonctionnement des forces de l’ordre, on relèvera que cet état de fait a été dénoncé par la Commission nationale de déontologie et de la sécurité1. Il y a là sans doute un domaine où le parquet peine à faire la démonstration de son indépendance.

Ensuite du délai de rigueur, les plaignants saisissaient le doyen des juges d’instruction.

Ils exposaient que cette mesure de police constituait une voie de fait qui avait eu pour effet de priver les plaignants personnes physiques de leur liberté d’aller et de venir, et de leur droit de participer à une manifestation pacifique. Ce faisant, les organisations syndicales et les partis politiques appelant à la manifestation subissaient également un préjudice, la rétention de plusieurs centaines de personnes au moment du départ du cortège les privant d’une partie de leur effectif.

Dans leur plainte, les plaignants faisant une description approfondie des faits, laquelle devait être entièrement corroborée par les investigations réalisées par le juge d’instruction.

Les mis en cause refusaient de communiquer les films vidéo réalisées tout au long de l’après-midi par un hélicoptère en station à moins de cent mètres au-dessus de la place BELLECOUR.
Pourtant la communication de ce document était demandée à plusieurs reprises par les plaignants et le magistrat instructeur. Les mis en cause, sûr de leur pouvoir face au juge judiciaire, refusaient de le communiquer en prétextant la destruction du document ! Le juge d’instruction ne réagissait pas face à ce refus ayant pourtant pour seul objet de faire obstacle à la manifestation de la vérité.
Cette dissimulation grave des images vidéo s’explique par le fait que celles-ci auraient permis de connaître très clairement non seulement le détail du déroulement de cette opération, mais aussi de mesurer les violences commises contre les manifestants.


1. Synthèse des faits du 21 octobre 2010

Le jeudi 21 octobre 2010, alors que le Parlement était sur le point de modifier la législation sur les retraites par un allongement des durées de cotisation, était organisée, comme les jours précédents, une manifestation populaire dont le premier objet était de s’opposer à cette évolution législative.

C’est à l’occasion de cette manifestation, au demeurant parfaitement autorisée par l’autorité préfectorale, que les faits dénoncés ont été commis.

Les nombreux témoignages, dont ceux joints à la présente qui n’ont été contestés par personne, démontrent comment la Place BELLECOUR a été totalement fermée, entrée et sortie, par la mise en place d’un double cordon de forces de l’ordre disposé tout autour de cet espace, barrant le moindre accès.

Ce dispositif opérationnel de 13H30 à 19H30 environ a immobilisé, sans aucune distinction, plusieurs centaines de personnes dans le but manifeste de les retenir « préventivement », de leur interdire toute participation à la manifestation dont le départ était fixé en début d’après-midi place Antonin PONCET, et d’interdire également toutes allées et venues.

Si dans l’ordonnance contestée les juges estiment devoir faire état de sortie permises par les forces de l’ordre, les faits commandent de retenir que ces sorties sont restées marginales en nombre et parfaitement discriminatoires.

L’ambiance du jour était calme. Aucune dégradation notable n’avait été commise ce jour là, dans la matinée en particulier. Au moment de la mise en place de la nasse, aucun trouble à l’ordre public n’avait débuté.

Le soir, à l’issue de cette opération, aucun manifestant n’était interpellé pour avoir avant, pendant, après ou en marge de la manifestation, procédé à des dégradations ou commis quelque délit que ce soit.

Malgré le calme de cette journée, des centaines de personnes ont été retenues contre leur gré, sans eau, sans nourriture, sans toilettes, sans information sur la durée de la retenue, gardées à vue sans arrêt par un hélicoptère surplombant à quelques dizaines de mètres les lieux, certaines des personnes ainsi retenues étant d’ailleurs parfaitement étrangères à la manifestation en préparation.

Prises au piège pendant de très longues heures, exténuées, stressées, celles-ci ont fini par pouvoir sortir de ce dispositif non sans avoir fait l’objet d’un contrôle ou d’une vérification d’identité, d’une fouille et de photographies individuelles quasi systématiques, lesquelles ont permis vraisemblablement d’alimenter ou de créer un fichier de police dont les investigations n’ont pas établi s’il était déclaré.

La mise en place de ce périmètre est décrite par de nombreuses personnes.

Les investigations ultérieures confortaient cette description de l’opération de police dénoncée.


2. Extrait des témoignages versés au dossier

Les témoignages sont éclairants sur le niveau d’atteinte aux personnes que cette mesure a provoqué.
Les personnes restées détenues ont fini exténuées nerveusement et très choquées.
Cette mesure particulièrement stressante, violente, a profondément marqué un grand nombre de manifestants notamment en ce que ceux-ci se sont sentis totalement dépossédés de leur libre arbitre, restant à la merci d’une décision de police arbitraire.

M. Marc A., secrétaire du syndicat CGT du Vinatier, témoigne qu’à son arrivée à 14H00 le cordon de CRS était déjà en place et que plusieurs camarades de son syndicat y étaient bloqués.
Le plaignant mentionne quels échanges il a eus avec les forces de police sur place, ces dernières indiquant avoir réussi à bloquer les casseurs, le plaignant indiquant que la manifestation avait été dûment autorisée et que tout le monde devait avoir accès à cette manifestation.
Le même décrit également l’envoi de gaz lacrymogène très rapidement de manière, décrit-il, à faire se mouvoir le cortège pour l’essentiel rassemblé à la limite de la place BELLECOUR, place Antonin Poncet.
Le plaignant indique également que les dernières personnes ont été libérées à 19H30 et de conclure :
« Mon analyse tient en quelques mots : le responsable de la police n’a, à aucun moment apaisé la situation en permettant aux gens de la place BELLECOUR de sortir et de rejoindre la manifestation. Il y a donc eu de grandes entraves au droit et à la liberté de manifester, de se déplacer. Bien sûr la violence de cette provocation ne pouvait entraîner que de fortes tensions… je trouve cela inadmissible ».

Mme Caroline B. décrit une manœuvre de filtrage de l’extérieur vers l’entrée de la place BELLECOUR à 13H45.
La plaignante indique aussi qu’à 14H00, les CRS laissaient entrer tout le monde sur la place BELLECOUR tout en empêchant le passage de BELLECOUR vers Antonin Poncet et décrit la présence de CRS barrant toutes les issues, la présence du GIPN armé de fusils à pompe et de chars anti-émeute équipés de lance à eau, puis les jets rapides de gaz lacrymogène sur les manifestants se trouvant sur la place BELLECOUR.
Mme B. décrit ensuite de nouveaux jets de gaz lacrymogène, l’attitude des jeunes venant régulièrement solliciter les CRS en les « suppliant » de les laisser sortir… puis, le temps passant « nous avons commencé à être réellement prises de panique, le temps passait et nous ne voyions pas d’issue pour sortir de là… une sorte de claustrophobie en extérieur ! »

Mme Nora B. est restée prisonnière du dispositif de 14H00 à 19H00 et décrit ce qu’elle a vu pendant cette longue après-midi. La plaignante décrit notamment l’attente insupportable, l’impression de savoir que ça va mal finir, les jets de gaz lacrymogène, la confusion, la panique de certains, la peur et les malaises de deux jeunes femmes.
A 19H00, Mme B. fait l’objet d’un contrôle d’identité, de la fouille de son sac. La plaignante est interrogée sur son nom et son adresse. Elle est prise en photo et numérotée. Un représentant des forces de l’ordre lui dit « Vous êtes venue manifester ? Ce n’est pas une manifestation ça, c’est un rassemblement, c’est illégal. »

M. Benjamin C. précise notamment qu’après avoir fait le tour de la place, il constate que toutes les rues adjacentes sont bloquées et que toute sortie est refusée à lui et à ses amis. Il constate toutefois que les personnes de plus de 25-30 ans sortent sans problème de cette place. Pour lui, il est clair que le mot d’ordre est de laisser entrer les jeunes dans la place et de ne pas les laisser sortir pour une durée indéterminée.
Le plaignant indique : « nos inquiétudes sont confirmées lors d’un rapide échange avec les forces de l’ordre. Je dis à un CRS : « en gros vous ne laissez pas sortir les jeunes et les autres c’est tout bon ? » Réponse « C’est ça. Vous les jeunes vous ne sortirez pas avant 20H00 et même 21H00 si cela est nécessaire. »
M. C. évoque un harcèlement policier, l’hélicoptère de la gendarmerie ne cesse de tourner au-dessus de la place, des groupes de CRS font des rondes, passent et traversent la place BELLECOUR pour « réveiller » les jeunes, deux policiers de la brigade anti-criminalité tournent sur une moto depuis une bonne demi-heure dans la place. J’ai même vu, au moment où je les prends en photo, un type traverser seul la place, se faire pousser par la moto roulant à faible allure, les deux personnages lui disant de « dégager ». Nous attendons, encore, toujours. C’est au bout de trois heures que le harcèlement policier commence à porter ses fruits. Des jeunes au début très dispersés et calmes, commencent à se rassembler et demandent à sortir.
Au cours de l’après-midi, les forces de l’ordre donnent l’assaut contre ceux qui sont détenus depuis plusieurs heures et sans arme à l’aide de canons à eau, de gaz lacrymogène. Le témoin évoque des matraquages.
Enfin, le plaignant décrit les contrôles d’identité, les fouilles corporelles et photographies qu’il qualifie d’humiliations.

Raphaël P., lycéen de 15 ans, décrit des jets de cailloux de jeunes manifestants excédés ne pouvant pas rejoindre la manifestation.
Il se dit enfermé et victime d’injustice car « Nous n’avions rien fait de répréhensible ; c’était comme si les CRS nous considéraient comme des délinquants. J’ai vu des gens qui demandaient à sortir et les CRS lançaient des bombes lacrymogènes sur eux et les ont frappés avec des matraques et puis par moment les CRS envoyaient des bombes lacrymogènes comme s’ils jouaient avec nous. »
A l’appui de son témoignage, il est fait état de treize enregistrements sonores susceptibles d’être produits aux débats.
Dans des conversations, il est mentionné la présence de différents représentants de syndicats « y a encore les drapeaux de Solidaire, de la CGT, de la CNT. »
Le plaignant découvre qu’il est prisonnier sur la place « l’idée c’est qu’on aille pas vous rejoindre, si j’ai bien compris » « bah je pense que c’est l’idée des flics d’empêcher les deux cortèges de se rejoindre ».
Il décrit le dispositif policier dont un hélicoptère en station au-dessus de la place, les camions à eau, le cordon impressionnant, deux hommes masqués de la brigade anti-criminalité qui sillonnent la place à moto caméscope à la main et l’angoisse qui va peu à peu monter avec le temps, le climat devenant de plus en plus délétère.
Il est question de 200 à 300 personnes qui sont restées sur la place détenues sans aucune possibilité d’en sortir.
Le plaignant décrit différentes scènes de violence.
Enfin, Le plaignant décrit son contrôle d’identité, de son adresse, la palpation, la fouille du sac, et la photo.
A l’issue, il se décrit comme suit : « Je suis là mais comme absent. Epuisé, en somme. »

Mme Violette G. indique aussi comment des manifestants se sont trouvés enfermés place BELLECOUR, les forces de l’ordre empêchant « les centaines d’individus sur la place BELLECOUR de quitter la place, que ce soit pour manifester, pour le boulot, aller aux toilettes ou autre. »
Selon la plaignante « la place BELLECOUR ressemblait à une garde à vue en plein air, et elle regroupait plus de 500 individus. En fin d’après-midi, les policiers ont utilisé un canon à eau sur les manifestants.
Peu à peu j’ai remarqué que certains jeunes réussissaient à sortir. Je me suis rapprochée au plus possible de ce rang de CRS. Ils demandaient les papiers de chaque personne, si elle n’avait pas ses papiers, elle ne pouvait pas sortir. Pour ceux qui avaient leurs papiers : les CRS prenaient nom, prénom, adresse. Ils prenaient une photo de chaque personne présente sur la place et les laissez-passer étaient accordés au faciès : les jeunes d’origine étrangère ou légèrement typés, les jeunes ayant capuche – foulard – baskets, soit disant « le style vestimentaire du casseur » étaient presque tous retenus sur la place. J’ai honte à le dire mais les individus à la peau blanche pouvaient sortir presque sans aucun problème. Deux cars sont venus chercher les jeunes à mettre en garde à vue, ils sont repartis complétement plein, les jeunes remplissaient même les allées entre les sièges. Une fois évacuée, la place visée, les forces de l’ordre ont interdit l’accès à la place BELLECOUR jusqu’à plus de 21H30. »

Leila M. indique avoir été retenue pendant cinq heures place BELLECOUR et décrit notamment la fin de l’après midi « vers 19H00, nous avons été dirigés, par les CRS, qui resserraient les rangs, vers la sortie côté Vieux LYON, où nous avons encore attendu de longues dizaines de minutes. Je suis frappée par le fait que nous étions entourés en grande majorité de jeunes de moins de trente ans, pour la plus part étrangers (magrébins et africains) : des critères de filtrage furent alors assez clairement dévoilés… »

Le témoignage de Mme Matilda M. confirme que le dispositif dont il s’agit a été mis en place dans le but initial de retenir de très nombreux manifestants.
La plaignante indique que les personnes détenues sur place ont été la cible pendant l’après-midi de jets de gaz lacrymogène et du camion équipé d’une lance à eau.
Mme M. indique aussi que vers 18H30 « il n’y avait plus que des jeunes, principalement des hommes, des étrangers, des punks et des babs… un beau tri ayant été fait pendant tout l’après-midi ! (Les personnes âgées puis les adultes d’abord puis quelques filles « propres sur elles » ayant été autorisés à sortir avant le contrôle). »
La plaignante reprend également les conditions dans lesquelles les personnes restées détenues jusqu’à la levée du dispositif ont fait l’objet d’un contrôle d’identité et d’une photographie.

Dans son témoignage Bruno P. fait notamment état des intentions pacifiques des manifestants, de la présence de l’hélicoptère, de l’usage des matraques et de gaz lacrymogène.

M. Samuel P. décrit également cet après-midi.
Il décrit l’usage des matraques, de gaz lacrymogène, de flash ball en précisant « Un camarade a reçu à un mètre de moi une balle de flash ball dans la cuisse et un ami s’est fait matraqué car il était en première ligne. Au fond de moi je n’avais pas vraiment peur car je n’avais rien à me reprocher, au contraire. J’ai reculé pour échapper à la charge. »

Mme P. explique comment les personnes présentes place BELLECOUR et place Antonin Poncet ont été coupées par la mise en place du barrage de police empêchant ceux se trouvant sur la place BELLECOUR de rejoindre le cortège et ainsi de participer à la manifestation.
La plaignante indique également qu’elle a été la réaction de foule présente, puis, rapidement, les tirs de flash ball et de gaz lacrymogène afin de faire reculer l’ensemble des personnes se trouvant sur la place BELLECOUR voulant joindre, au-delà du cordon, la manifestation place Antonin Poncet.
La plaignante décrit avec beaucoup de détails les violences dont elle a été témoin et notamment l’épisode suivant « un CRS qui semble être le chef nous dit : on va vous faire sortir, côté Saône. Allez y, dirigez vous vers là bas. Il semble gentil, et conciliant, il a l’air aussi paniqué que nous et semble soulagé de nous dire ça. Je demande si nous allons être fouillés ou pris en photo, ou filtrés. Il me dit que non et que peut-être on va vérifier nos papiers. Il essaye d’être rassurant. On commence à y aller, avec Elisa, Damien et Claire. Elisa crie au CRS « Vous allez pas nous gazer une fois là-bas hein ? » « Quand vous nous dites d’aller quelque part, après vous nous gazez. » Les CRS répondent avec méchanceté, agressivité, sont humiliants. « C’est pas le bureau des pleurs ici, allez va, va, va-t-en. » « Allez à demain » dit un autre en riant d’un ton méprisant. « Y en a marre des ka soc. » Elisa répète plusieurs fois au CRS « Mais vous allez pas nous gazer ? » Un cordon impressionnant « plus de trente » policiers de la BAC se déplace dernière nous et nous pousse. Ils vont chercher tout le monde pour les diriger vers l’angle de la place. On y va très lentement. Les policiers gazent le coin où tout le monde commençait à s’entasser pour sortir, exactement comme Elisa le disait. Les bras m’en tombent. Est-ce qu’ils veulent nous rendre fous ? »

Camille R. est restée enfermée place BELLECOUR du début d’après midi jusqu’à 19H00, heure à laquelle les policiers lui ont demandé son nom, son prénom, sa carte d’identité et ont pris une photo d’elle.
La plaignante évoque les gaz lacrymogènes, les charges de CRS sans raison apparente, l’usage du canon à eau.

Damien S. a rédigé un témoignage détaillé. Le plaignant décrit la mise en place du cordon et comment la manifestation s’est trouvée coupée en deux à la jonction des places BELLECOUR et Antonin Poncet « C’est le moment de se rassembler pour la manifestation, mais il semble que de plus en plus de personnes présentes place BELLECOUR ne peuvent pas passer pour aller sur la place Antonin Poncet. Les gendarmes mobiles et les CRS ont resserré le cordon entre la librairie PRIVAT, le café de la Cloche, des membres de la BAC viennent aussi près du cordon, les camions de la gendarmerie mobile sont présents sur le carrefour.
Du côté de la place BELLECOUR, il y a surtout des lycéen(ne)s et étudiant(e)s. qui étaient déjà présent(e)s sur la place. Du côté de la place Antonin Poncet il y a aussi des lycéen(ne)s, mais davantage d’étudiant(e)s. et travailleur(euse)s. avec des banderoles et des drapeaux syndicaux. »

Le plaignant reste bloqué sur la place BELLECOUR. Pour la séparation de la manifestation, le plaignant décrit la mise en place de « deux cordons, un espace de plusieurs mètres de large et gardé vide au milieu du carrefour, que les personnes ne peuvent pas traverser. Un camion du GIPN est toujours devant la librairie PRIVAT, 5 ou 6 membres du GIPN présents à l’intérieur du camion en sortent parfois, cagoulés et armés, pour éloigner les personnes qui se rassemblent trop près du camion, puis ils rentrent à nouveau. Les gendarmes et les CRS sont munis de casques et de boucliers, les membres de la BAC sont présents à leurs côtés avec les casques et des brassards. »
Le plaignant décrit l’usage de gaz lacrymogène.
« Toute la place est envahie de gaz lacrymogène. Autour de nous, plusieurs groupes crient, pleurent, paniquent. On leur donne de l’eau, on tente de les rassurer, ils/elles nous disent qu’ils/elles ont peur, qu’ils/elles voulaient simplement participer à la manifestation ou traverser la place, ils/elles ont peur de la police, d’être arrêté(e)s et/ou blessé(e)s. On entend des cris qui viennent du milieu de la rue côté Est de la place, une jeune fille est tombée à terre et risque d’être piétinée dans les mouvements de foule, les secours ne peuvent pas venir sur la place, les CRS refusent d’intervenir. »
Enfin, il décrit l’épisode au cours duquel, faisant état d’une sortie possible, les forces de l’ordre ont regroupé un nombre important des personnes détenues dans un coin de la place puis leur ont lancé du gaz lacrymogène.
Le plaignant décrit également, en fin d’après-midi, le déroulement des fouilles et des contrôles et le fait que certaines personnes seront conduites au commissariat pour vérification d’identité et en conséquence emmenées dans un bus des services de police immédiatement après le contrôle.

Mme Catherine V. explique comment elle a été empêchée de rejoindre le cortège syndical.
La plaignante indique « j’ai seulement compris que le piège se refermait, quand les CRS ont complètement séparé les deux cortèges et nous ont repoussés vers la place BELLECOUR. Il y a eu un mouvement de protestation, des huées et une volée de gaz lacrymogène : on s’est retrouvé à courir vers la place et on s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus sortir. »
La plaignante évoque les exfiltrations discriminatoires, les tirs de canon à eau vers 17H00 « alternant avec des tirs très fournis de gaz lacrymogène » les malaises de deux jeunes femmes évanouies.
La plaignante conclut en indiquant « je suis dégoutée du traitement infligé à ces jeunes, considérés comme des menaces à priori et comme des délinquants confirmés dès qu’ils sont de couleur. »
L’intéressée a été libérée à 18H00.

Elisa T. a été présente sur la place de 12H00 jusqu’en fin d’après-midi.
Madame T. fait état d’un dispositif policier très important dès 12H00 dont deux canons à eau installés au nord de la place. La plaignante décrit un groupe de « pacifistes », « ils sont une quinzaine dont un garçon plutôt grand qui porte un drapeau « P » au couleurs de l’arc en ciel, il est bloqué par la police. A partir de ce moment, je prends conscience que nous sommes complètement bloqués. Nous approchons du côté du petit kiosque et je vois encore des gens passer les cordons pour arriver vers nous, je vais leur parler, ils me confirment qu’ils viennent d’entrer sur la place mais qu’on ne peut apparemment plus en sortir. Mon ami appelle un de nos amis qui se trouvent de l’autre côté pour expliquer la situation et leur dire de venir nous rejoindre. Mais les gens ne peuvent plus entrer dans la place BELLECOUR nous répond-il.
Le temps que tout le monde comprenne la situation, et le cortège côté libre (côté Antonin Poncet) commence à réclamer notre libération en criant des slogans. »
Comme tous les autres plaignants, Mme T. est détenue à l’intérieur du dispositif. Celle-ci demande à sortir mais les policiers refusent. L’intéressée indique « comme je ne sais pas pourquoi je suis là ni ce qu’ils veulent faire de nous, je n’ai pas envie de me retrouver sous les grenades lacrymogènes ou le camion à eau en train de faire pipi. Je me retiens. Je vais me retenir comme ça jusqu’à la fin. Je me demande comment font les autres filles, surtout les filles qui ont leurs règles par exemple, ou les personnes qui ont des problèmes rénaux. Et puis je me dis que faire pipi sur la voie publique est en soit illégal. Je me sens encore plus coincée, enfermée, sans possibilité de répondre à mes besoins vitaux sans être dans l’illégalité… Je commence à avoir faim aussi, les frites avalées en vitesse sont déjà loin et je suis entourée de gens qui n’ont rien avalé à midi.
Un lycéen avec qui je discute me raconte qu’avec un ami, ils ont demandé à sortir et que le policier leur a répondu « vous croyez vraiment que je vais vous laisser sortir avec la tête que vous avez ? ». Globalement, la plupart des personnes avec qui je vais parler ce jour-là sont des lycéens ou des lycéennes, typés non blanc, qui me raconterons avoir subi des remarques de ce genre. »
Comme les autres plaignants, Mme T. décrit la fermeture de la place, une tension forte au moment où une partie de la foule retenue place BELLECOUR comprend qu’elle ne pourra pas rejoindre la manifestation, une intervention policière importante avec de nombreux jets de gaz lacrymogène puis une période de calme de plusieurs heures.
La plaignante décrit également, vers 17H00, une reprise de l’activité policière avec de nouveaux jets de grenades lacrymogènes. Mme T. décrit « la panique, la surprise, la violence ». « Des grenades partent du côté sud de la place vers le milieu et vers l’ouest. Tout le monde court pour fuir les gaz. Nous-mêmes nous nous déplaçons le plus à l’est possible pour essayer de trouver de l’air sans gaz que le vent rabat vers nous en plus. Mais les grenades viennent de plus en plus vers nous et j’ai peur qu’elles me tombent sur la tête. »
Alors qu’elle tente de venir en aide à une jeune femme inanimée, la plaignante s’adresse à un responsable des services de police en lui indiquant « C’est n’importe quoi, qu’il va y avoir un drame. » Selon la plaignante, le responsable répond « qu’il sait » et a l’air inquiet et en parlant à sa collègue il dit « qu’est-ce qu’ils font là, pourquoi ils chargent, c’est qui ? C’est n’importe quoi, qu’est-ce qu’ils font ? »
La plaignante indique que l’usage du camion à eau est parfaitement abusif « le but semble être de mouiller les gens puisqu’il n’y a rien à disperser ».
La plaignante décrit ensuite comment de nombreuses personnes ont été rassemblées côté ouest au motif qu’ils pourraient sortir puis ont été la cible de jets de grenades lacrymogènes.
Mme T. décrit à plusieurs reprises les critères d’exfiltration. Etre blanc ou non blanc semble être un critère déterminant.
Elisa T. décrit sa libération et conclut ainsi « Je rentre chez moi ensuite, avec mes amis. Le lendemain je me réveille, en pleurs. Je n’arrive pas à sortir cette panique et cette incompréhension de ma tête. Ce sera comme ça pendant plusieurs jours. J’admets alors que j’ai subi un traumatisme. J’ai peur quand je vois des policiers. Je n’ai plus confiance en cette institution, en ces individus. Le sentiment d’avoir été puni de façon collective, extrêmement violente, arbitraire et illégale ne me quitte plus depuis. »

Au terme de ces témoignages corroborés par les investigations réalisées, il est établi qu’un dispositif policier a été mis en place pour maintenir contre leur gré plusieurs centaines de manifestants pendant de nombreuses heures.

Ces faits sont susceptibles de qualifications pénales.


II/ Les qualifications pénales

Aux termes de l’article 432-4 du Code pénal :

« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, d'ordonner ou d'accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100000 euros d'amende.  »

Aux termes de l’article 432-5 du Code pénal :

« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ayant eu connaissance, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, d'une privation de liberté illégale, de s'abstenir volontairement soit d'y mettre fin si elle en a le pouvoir, soit, dans le cas contraire, de provoquer l'intervention d'une autorité compétente, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende (…). »

Aux termes de l’article 431-1 du Code pénal :

« Le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation ou d'entraver le déroulement des débats d'une assemblée parlementaire ou d'un organe délibérant d'une collectivité territoriale est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Aux termes des articles 222-11 et 222-13 du Code pénal :
« Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'elles sont commises :
(…) 7° Par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission ;
8° Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;
9° Avec préméditation ou avec guet-apens ;
10° Avec usage ou menace d'une arme ;
Les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende lorsque l'infraction définie au premier alinéa est commise sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur le mineur. Les peines sont également portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende lorsque cette infraction, ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours, est commise dans deux des circonstances prévues aux 1° et suivants du présent article. Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende lorsqu'elle est commise dans trois de ces circonstances. »

Aux termes de l’article 225-1 du code pénal :

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d'autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. »

Aux termes de l’article 432-7 du Code pénal :

« La discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende lorsqu'elle consiste :
1° A refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi ;
2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ».


Confirmant les termes de la plainte et des témoignages, l’instruction a démontré la réalité factuelle de la rétention.

Or, il est incontestable que les faits ainsi caractérisés sont une détention arbitraire (1), véritable voie de fait, tant au regard de l’article 5 de la C.E.D.H qu’au regard du droit interne.

Cette voie de fait a constitué une atteinte à la liberté d’aller et venir de chacun mais aussi à la liberté d’expression et de manifestation des personnes présentes comme des partis politiques et organisations syndicales appelant et participant à la manifestation (2) telles que définies aux articles 10 et 11 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.
Cette voie de fait a été aussi constitutive de violences illégitimes sur les manifestants (3) et l’occasion de discriminations (4).








1. Une détention collective sans fondement textuel est une mesure de police arbitraire en application du droit communautaire comme du droit interne

La détention arbitraire en application de l’article 5 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales

Selon l’article précité :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(…)
c. s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(…)
2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
(…)
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

Selon le Conseil de l’Europe2 « Les auteurs de la Convention ont renforcé par cet article la protection de l’individu contre une privation arbitraire de sa liberté par un ensemble de droits matériels conçus pour réduire au minimum le risque d’arbitraire en prévoyant que l’acte de privation de liberté est susceptible d’un contrôle juridictionnel indépendant et engagera la responsabilité des autorités. […]
Sont en jeu ici la protection de la liberté physique des individus ainsi que la sûreté de la personne dans une situation qui, faute de garanties, pourrait saper la prééminence du droit et soustraire les détenus à l’empire des formes les plus rudimentaires de protection juridique3 ».

Le paragraphe 1 de l’article 5 exige donc que toute privation de liberté s’effectue « selon les voies légales ».
Cette exigence de régularité est interprétée comme applicable à la fois au fond et à la forme.

En outre, cette exigence doit être comprise comme imposant la conformité de la détention au droit interne et à la Convention et comme excluant tout arbitraire.

La garantie de liberté est renforcée par deux exigences : ne pas prolonger la privation de liberté au-delà du délai strictement nécessaire et libérer rapidement l’intéressé lorsque la privation s’avère injustifiée.

Enfin, la sûreté des personnes commande que la détention s’effectue selon des critères lisibles, connus de tous.

Selon le droit européen, l’arbitraire se déduit de l’absence de texte.

En droit interne, le droit de retenir une personne (en l’espèce plus de 600 !) contre son gré, est très clairement encadrée. Toute rétention en garde à vue, fusse pour une personne susceptible d’être poursuivie, sans formalité dûment remplie, sera immédiatement considérée comme en détention arbitraire.

Une détention arbitraire au regard du droit interne

La Constitution française énonce le principe de sûreté des personnes.
L’article 7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, pose le principe de l’interdiction des accusations, arrestations et détention arbitraires, principe ayant valeur constitutionnelle, (2004-492 DC, 2 mars 2004, journal officiel 10 mars 2004, p. 4637 cons. 3, rec. p. 66).
La liberté d’aller et venir mentionnée aux articles 2 et 4 de la même déclaration a également été affirmée en tant que principe ayant valeur constitutionnelle (79-107 DC 12 juillet 1979, journal officiel du 13 juillet 1979, p., cons. 3, rec. p. 31).

La loi et la jurisprudence administrative règlent les questions ayant trait à la légalité des mesures de police et le contentieux susceptible de naître de l’interdiction d’une manifestation ; mais seules les règles de droit pénal et de procédure pénale organisent les privations de liberté (sauf cas spécifiques non pertinent en l’espèce : étrangers en situation irrégulière, malades mentaux notamment).
A tout le moins, parce qu’elle tend à résoudre une affaire à caractère pénal chaque privation de liberté doit être faite sous le contrôle de M. le Procureur de la République. En aucun cas, une détention, fusse d’un seul individu, ne peut être mise en œuvre par la police en mission de police administrative placée sous l’autorité du pouvoir politique, sans aucun contrôle juridictionnel effectif.

C’est d’ailleurs le sens de l’article 5.1.c de la C.E.D.H.
Au sens de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, nul ne peut exciper de la nécessité de prendre des mesures préventives à l’égard des personnes suspectées d’infraction pénale si la détention n’a pas pour objet de mener une instruction. Une telle privation de liberté, bien que légale sur le plan interne, serait en effet contraire à l’article 5 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. Pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme, il est indispensable que la mesure restrictive de liberté soit prise dans le but d’intenter des poursuites pénales contre l’intéressé.
Or, il n’a été relevé aucun indice à l’encontre des parties civiles permettant de suspecter qu’elles auraient été susceptibles de créer un trouble à l’ordre public, ou étaient sur le point de commettre un délit.

Le droit français prévoit différentes hypothèses de privation de liberté, avant décision d’un juge indépendant, qui sont les suivantes :
- une retenue le temps strictement nécessaire à l’initiative de toute personne, en cas de flagrant délit, dans le but de permettre sa présentation aux services de police ;
- une retenue de quatre heures dans le cadre d’une vérification d’identité à l’encontre de celui qui n’a pu en justifier alors qu’il était tenu de le faire. Cette retenue s’opère sous l’autorité du Procureur
- Le régime de la garde à vue.

La loi applicable au 21 octobre 2010 organisait la privation de liberté temporaire avant la présentation devant un magistrat ou la remise en liberté sous les articles 68 et suivants du CPP. Cette retenue s’opère sous l’autorité du Procureur.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé ce régime français insuffisamment protecteur4 des droits et libertés fondamentaux. Pour autant, le régime de garde à vue permettait d’encadrer de manière substantielle la détention en permettant notamment :
- la notification des faits reprochés,
- un entretien avec un avocat au début de la mesure pendant trente minutes,
- le droit de rencontrer un médecin,
- le droit de faire prévenir sa famille,
- le contrôle du Procureur de la République,
- une durée maximale.

Les personnes retenues place BELLECOUR en exécution d’une mesure de police préventive sans intervention d’un juge indépendant, sans même une réquisition préalable du parquet, sans que M. DOUTRE « juge » utile de prendre l’avis de M. le Procureur ou de M. le Procureur général, n’ont bénéficié d’aucun de ces droits et garanties.

Or, aucun texte ne donne pouvoir à quelque autorité administrative que ce soit de détenir les personnes contre leur gré.

Il convient de remarquer également que le principe fondamental de la sûreté des personnes, de la lutte contre l’arbitraire et le respect de la sécurité juridique exigent que toute règle invoquée soit suffisamment précise pour permettre à une personne de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause et en s’entourant au besoin de conseil éclairé, les conséquences de leur acte de façon à pouvoir éviter tout comportement susceptible d’entraîner leur détention.

En l’espèce, l’ensemble des plaignants ne pouvait en aucune façon prévoir que leur présence place BELLECOUR en vue de participer à une manifestation les conduirait à être retenus sur cette place contre leur volonté, dans de telles conditions et pour cette durée.

Considérant d’une part qu’il a été démontré plus haut que plusieurs centaines de personnes ont été retenues par la force en un lieu clos pendant plusieurs heures ; et considérant d’autre part qu’aucun des régimes applicables à la privation de liberté n’a été mis en œuvre ; Il s’ensuit que la rétention des personnes sur cet espace est dépourvu de tout fondement légal et viole incontestablement l’article 5 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales et l’ensemble des textes organisant la privation de liberté d’un citoyen français et s’analyse en une détention arbitraire.

Nulle opération de police administrative ne saurait conduire, hors tout cadre légal, à une privation de liberté physique des individus, à une interdiction du droit de manifester, à une restriction du droit d’aller et venir, alors que la manifestation avait fait l’objet d’une autorisation par les autorités administratives compétentes.


Une mesure de police sans fondement légal selon le Défenseur des Droits

Le défenseur des droits a rendu un rapport en décembre 2017 sur le maintien de l’ordre au regard des règles déontologiques

Dans ce rapport (partie III et IV), le Défenseur des droits à consacré un paragraphe concernant la technique policière de maintien de l’ordre dite d’ « encagement » :

« Un autre type d’intervention des pouvoirs publics dans les opérations de maintien de l’ordre dont le cadre légal est très incertain, voire inexistant, consiste à priver plusieurs personnes de leur liberté de se mouvoir au sein d’une manifestation ou à proximité immédiate de celle-ci, au moyen d’un encerclement par les forces de l’ordre qui vise à les empêcher de se rendre ou de sortir du périmètre ainsi défini. Cette technique appelée encagement, nasse, ou kettling, ne fait pas partie des enseignements officiels et n’a pas de base légale. Elle a néanmoins été utilisée lors de la manifestation « La Manif pour tous » et, par la suite, à de nombreuses reprises et sous des formats divers lors d’évènements ultérieurs dont a eu connaissance le Défenseur des droits à l’occasion du traitement des saisines. Le Défenseur des droits a été saisi de plusieurs affaires mettant en cause un dispositif d’encerclement de manifestants par les forces de l’ordre, durant plusieurs heures, sans aucune possibilité de s’en extraire librement. Le Défenseur des droits a recommandé qu’une réflexion soit engagée sur le recours à cette technique de maîtrise des foules, au regard du respect des libertés publiques et en particulier du droit d’aller et venir, dans la perspective de l’adoption d’un cadre d’emploi sur les conditions et modalités de mise en œuvre de l’encagement 86.85 Avis du Défenseur des droits n° 17-05- et 17-07. 86 Défenseur des droits, décisions MDS-2015-126, 21 mai 2015, et MDS-2015-298, 25 novembre 2015.
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Selon la préfecture de police, les « nasses », en tant que technique d’interpellation indiscriminée, ne seraient aujourd’hui plus pratiquées et auraient été remplacées par des techniques d’encerclement aux fins d’immobilisation ou pour isoler temporairement une « nébuleuse » et la neutraliser. Cette mesure est ainsi présentée comme le moyen de prévenir ou de mettre fin à un trouble à l’ordre public. Il a, en outre, été précisé que, dans ces situations, il est systématiquement laissé une échappatoire aux personnes encerclées par les forces de l’ordre. Or, notamment selon Amnesty International, cette pratique, contraire à l’exercice démocratique des libertés publiques, semble perdurer puisque des encerclements ont été poursuivis pendant une durée prolongée à l’encontre de manifestants pacifiques. Les représentants de l’inspection de la police nationale indiquent qu’il n’existe pas aujourd’hui de stratégie d’encagement. Alors que les contrôles d’identité délocalisés procèdent d’une véritable doctrine anticipée, l’encagement se fait au cas par cas, au regard des circonstances. S’agissant d’une atteinte à la liberté d’aller et venir, ils estiment que cette technique doit rester exceptionnelle et s’apprécier au cas d’espèce, sans qu’un cadre d’emploi soit nécessaire, suivant le principe d’absolue nécessité du fait d’un péril imminent. Par ailleurs, selon eux, le fait d’imposer une échappatoire peut, en fonction des situations, tout aussi bien assurer la sécurité des manifestants que les exposer à des risques. Pour pallier l’absence de cadre d’emploi, une fiche technique a été élaborée par la cellule Synapse de la préfecture de police précisant notamment la nécessité de limiter dans le temps l’immobilisation et de tenir compte de l’état potentiel de vulnérabilité des personnes concernées. Selon les Lignes directrices de l’OSCE/BIDDH « les stratégies de contrôle des foules basées sur l’encerclement et l’isolement - une tactique connue au Royaume-Uni sous le nom de kettling- ne devraient être utilisées qu’à titre exceptionnel »87. La Cour européenne des droits de l’homme qui se prononçait sur des faits survenus lors d’une manifestation organisée au Royaume-Uni, a adopté une position similaire. Dans l’affaire Austin et autres c/ Royaume-Uni, du 15 mars 2012, la CEDH a conclu que, dans les circonstances très particulières de l’affaire (un rassemblement de plus de 1500 manifestants, dont plus de la moitié étaient violents, en plein centre de Londres), le maintien de plusieurs centaines de manifestants dans un cordon pendant sept heures avait été rendu nécessaire pour prévenir des atteintes graves aux personnes et aux biens et qu’elle ne constituait pas une privation de liberté. Elle a néanmoins précisé que « compte tenu de l’importance fondamentale de la liberté d’expression et de la liberté de réunion dans toute société démocratique, les autorités nationales doivent se garder d’avoir recours à des mesures de contrôle des foules afin, directement ou indirectement, d’étouffer ou de décourager des mouvements de protestation ».
87 OSCE/BIDDH, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, 2010 § 160, p76.
En outre, le Rapporteur spécial des Nations-unies sur les droits à la liberté d'association et de réunion pacifique estime que la technique de l’encagement est « intrinsèquement préjudiciable à la liberté d’expression et d’assemblée pacifique, eu égard à sa nature indiscriminée et disproportionnée » 88. Le principe de légalité s’impose comme condition nécessaire à l’action des forces de l’ordre, en particulier dans le cadre d’opérations contraignantes pour l’expression des libertés, et ces techniques qui portent atteinte à la liberté d’aller et de venir, à la liberté de manifestation ou d’expression notamment, doivent donc être dénoncées. Le Défenseur des droits, s’il considère que la technique de l’encerclement peut être utilisée dans certaines circonstances à l’occasion des opérations de maintien de l’ordre, recommande l’adoption d’un cadre d’emploi définissant strictement les conditions et les modalités du recours à cette mesure et prévoyant notamment la nécessité d’une échappatoire, une durée non excessive, ainsi qu’un dialogue avec les personnes concernées.
RECOMMANDATION n°6 : Le Défenseur des droits recommande que la technique de l’encagement, mesure privative de liberté ne reposant sur aucune base légale, soit strictement définie par un cadre légal dans la mesure où le recours à cette technique apparaitrait indispensable face à certains types de manifestants.


Les plaignants sont donc parfaitement fondés à dénoncer une voie de fait se traduisant par une détention arbitraire des plaignants et une atteinte aux droits fondamentaux.


2. Une détention collective attentatoire aux droits fondamentaux selon le droit européen et le droit interne

La détention de nombreux manifestants s’est traduit par, outre la privation de liberté des personnes ainsi retenues, une atteinte grave au droit d’expression, au droit de réunion, au droit de manifestation, violation subie tant par les personnes physiques que par l’ensemble des organisations politiques et syndicales appelantes et présentes pour cette manifestation.

Ces libertés sont protégées en droit interne en par la CEDH.
Aux termes de l’article 10 de la C.E.D.H :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

Aux termes de l’article 11 de la C.E.D.H :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat. »

Dans une affaire Barraco c/ France5, la Cour de Strasbourg a rappelé que pour une manifestation sous la forme d’un rassemblement et d’un défilé, la liberté de penser et la liberté d’expression s’effacent devant la liberté de réunion pacifique6et doit donc s’analyser sous l’angle de l’article 11 de la convention.

Au paragraphe 41 de ce même arrêt, la Cour observe que le droit à la liberté de réunion est un droit fondamental dans une société démocratique et, à l’instar du droit à la liberté d’expression, l’un des fondements de pareille société. Dès lors, il ne doit pas faire l’objet d’une interprétation restrictive7, ce droit couvrant à la fois les réunions privées et celles tenues sur la voie publique, ainsi que les réunions statiques et les défilés publics ; en outre, il peut être exercé par les individus et par les organisateurs.

Une atteinte au droit fondamental est possible si elle correspond à un « besoin social impérieux » et si l’atteinte est « proportionnée au but légitime visé »8.


Il résulte de ces textes que l’atteinte est caractérisée.

La description des faits caractérise l’intention pacifique des manifestants.
Les forces de l’ordre n’ont relevé aucun incident majeur à l’initiative des manifestants « libres » ou des personnes détenues. De manière générale aucune infraction commise à l’encontre des biens ou des personnes n’a été relevée, en particulier avant le bouclage de la place.
Dans le même sens, les fouilles réalisées lors des exfiltrations et celles réalisées juste avant la levée du dispositif sur la quasi-totalité des personnes encore présentes ont permis de constater qu’aucune d’entre elles n’était armée.

Enfin, si le dispositif policier privant les personnes détenues de leur liberté pendant plusieurs heures a pu susciter quelques réactions mineures telles que des jets de pierres sporadiques à l’encontre des forces de l’ordre dont la maîtrise de la situation était totale, il est clair que ces réactions n’ont pas motivé l’opération consistant à fermer la place, pas plus qu’elles n’ont contraint les forces de l’ordre à maintenir le dispositif.


3. Une action de police intrinsèquement constitutive de violences illégitimes commis sur les manifestants retenus.

Le dispositif policier extrêmement maîtrisé n’a à aucun moment été mis en difficulté par les personnes présentes et venues manifester.
Ni arme, ni arme par destination, n’ont été saisies. Il paraît dérisoire de justifier l’emploi de la force par les gendarmes à l’encontre des manifestants en prétextant des jets de pierres, tout aussi inoffensifs que prévisibles.
Pourtant les forces de l’ordre ont usé de flash-ball, de canons à eau, et de très nombreuses grenades de gaz lacrymogène, semblant, de l’avis de nombreuses personnes présentes, « jouer » avec les personnes ainsi parquées et sans défense en provoquant des mouvements de foule d’un côté de la place vers un autre.

Les personnes prises au piège rapportent s’être senties particulièrement humiliées.
Comment en aurait-il pu être autrement en étant à la merci des forces de l’ordre, pour une durée inconnue, pris par surprise dans une véritable souricière et sans en comprendre les motifs ?
Privées de toute information, parfois volontairement désinformées notamment par des annonces leur promettant une possibilité de sortie de l’autre côté de la place, privées des commodités d’hygiènes élémentaires, de nourriture et d’eau, les personnes détenues ont vécu ces longues heures dans une ambiance particulièrement stressante.
Leur témoignage permet de comprendre que ces personnes ont été très vivement impressionnées par ces faits qui se sont révélés traumatisant pour beaucoup.

Les faits dénoncés sont constitutifs de violences en réunion et avec armes.

4. Une action de police discriminatoire

Toutes les sorties du dispositif, sauf celles réalisées à la demande des organisations syndicales négociant avec certains représentants des force de l’ordre peu après le bouclage définitif du périmètre, ont été faites au faciès, les agents estimant de façon totalement arbitraire qui, parmi les personnes déjà pris dans le dispositif interdisant à tout un chacun de s’en échapper, pouvait être autorisé à sortir.










III/ L’identification des auteurs


1. Par acte en date du 5 février 2015, les parties civiles ont fait le point sur l’état d’avancée du dossier et ont demandé au juge d’instruction de bien vouloir procéder à un certain nombre d’actes complémentaires soit :

- l’audition de Monsieur Marc DESERT, Procureur de la République du Tribunal de grande instance de LYON au jour des faits,
- l’audition de Monsieur Olivier VIOUT, Procureur Général de la Cour d’appel de LYON au jour des faits,
- l’audition de Monsieur Jacques GERAULT, Préfet de région Rhône-Alpes au jour des faits,
- l’audition de deux syndicalistes sur la « libération » de 100 jeunes non casseurs, fruit d’une négociation menée par Monsieur DOUTRE et les organisateurs, Monsieur Yves JALMAIN et Monsieur Marc AURAY.

- Rechercher le cas échéant toutes réquisitions du parquet autorisant le blocage de la place, les contrôles et vérifications d’identité, les photographies …

- Interroger Monsieur Brice HORTEFEUX, Ministre de l’Intérieur de l’époque, sur les ordres donnés aux autorités de police Lyonnaise lors de sa venue le 20 octobre 2010,

- Se faire communiquer les images vidéo du 21 octobre 2010, savoir qui les détient, identifier les personnes s’opposant à l’autorité judiciaire et faisant obstacle à l’instruction, étant précisé que les services de police ont déjà feint, à deux reprises, de communiquer ces images tout en communiquant les images de la veille et l’avant-veille.

Par acte subséquent, le juge procédé à la quasi-totalité de ces actes d’instruction qui ont tous permis de contribuer à la manifestation de la vérité.

2. Les auditions de M. le Procureur de la République du Tribunal de grande instance de LYON et de M. le Procureur Général ont permis d’infirmer très clairement les déclarations de M. DOUTRE prétendant avoir agi en relation étroite avec ces deux hommes, avec leurs autorisations, se prévalant de leurs autorisations voire de « réquisitions orales ».

Contrairement aux déclarations de M. DOUTRE, les intéressés ont déclaré qu’ils n’avaient jamais été associés à cette opération qui s’avérait en conséquence être d’initiative, de conception et de réalisation policière.

Interrogés sur la réquisition se trouvant au dossier, il a également été établi que ce document n’avait aucunement été dressé par les services du Parquet en vue de la réalisation de l’opération contestée.
Cette information vient corroborer le contenu du document lui-même qui s’avère être une réquisition, non datée, faite pour des contrôles d’identité très usuels sur le périmètre, incluant notamment les échangeurs de métro de la place BELLECOUR, réquisition en aucun cas relative à une opération aussi singulière.

En outre, les recherches effectuées n’ont pas non plus permis la production de réquisitions pouvant sérieusement concerner l’opération de police contestée.

Il a donc été parfaitement établi par l’instruction que le Parquet de LYON n’a aucunement validé le dispositif et qu’il s’agit là d’une opération de police administrative pure dont il a été établi, par ailleurs, le caractère manifestement attentatoire aux libertés, en dehors de tout texte légal.

3. Sur la responsabilité de M. DOUTRE et de M. GUERAULT.

Dans son audition du 10 novembre 2015 (D163), M. DOUTRE a reconnu -voir revendiqué- avoir mis en place la mesure administrative.

A la question :
« Peut-on dire que, dès midi, l'objectif de bouclage de la place BELLECOUR associé à des contrôles et vérifications d'identité était d'identifier les personnes présentes afin d'une part de mener des enquêtes en cours et d'autre part de dissuader la réitération d'infractions ? »
L’intéressé répond :
« J'ai proposé une solution pour éviter l’infiltration de la manifestation. Si la manifestation
était partie comme prévu et s'il n'y avait pas eu de jets de pierre, on n'aurait pas eu besoin de procéder à des contrôles d’identité. On avance en marchant. C'est en s'apercevant de la
virulence des fauteurs de troubles que j'ai proposé au Procureur de la République une issue calquée sur celle de la veille ».

Déjà le 26 mars 2013 (D85), l’intéressé indiquait :
« Des choix atypiques de réponses judiciaires comme d'ordre public ont été mis en œuvre par mes soins après concertation et contrôle des différentes autorités administratives et judiciaires de l'époque. Je précise qu'au quotidien à cette époque, j'étais en contact étroit avec le Préfet de région Jacques GERAULT, le Procureur de la République Marc DESERT, et le Procureur général Olivier VIOUT ».

Comme mentionné plus haut (D62), M. le Procureur Général en fonction à l’époque a toutefois clairement indiqué « Concernant M. DOUTRE qui venait d’arriver à LYON, je n’ai eu aucun contact téléphonique pendant ces trois jours ».

M. DOUTRE a également indiqué (D96), « J’ai quasiment suivi tout le dispositif à partir de la fin de matinée depuis la salle de commandement et c’est moi qui en ait assumé la responsabilité »
(…)
« Pour toutes les décisions importantes, mon adjoint, Jean-Michel POREZ agissait sur mes instructions, et c'est ce qui ressort à la radio à l'écoute de la conférence »
(…)
« Il a été décidé sur mes directives, et après que je m'en sois ouvert au Préfet de région et au procureur de la République, un dispositif d'enfermement de la place »
(…)
« Le dispositif de blocage (…) a été validé téléphoniquement par le Préfet de région, et j'en ai ensuite informé également par téléphone le Procureur de la République, en lui expliquant l'intérêt du dispositif. Cela n'a pas soulevé d'objection de sa part. Inversement le dispositif de contrôle d'identité a été validé par le procureur sur la base de réquisition. (…) Dans mon souvenir il s'agissait de réquisitions verbales ».

De son côté, M. Jean-Michel POREZ, à l’époque DDSP adjoint du Rhône (D95) a clairement indiqué avoir reçu ces instructions de la part de M. DOUTRE pour procéder à la fermeture. L’intéressé précisant que la décision avait été prise d’un commun accord avec le préfet et le procureur de la République.

On relèvera enfin que M. DOUTRE s’est exprimé dans la presse (article LYON Capitale du 21 octobre 2010) comme le responsable de cette action de police.

Il ne fait donc aucun doute que celui-ci est le principal responsable dans cette affaire pour avoir décidé, organisé et suivi cette mesure de police de bout en bout.

L’audition de M. GERAULT réalisée le 3 juin 2015 (D155) a permis de conforter la responsabilité de M. DOUTRE mais aussi d’établir sa propre responsabilité.

Si le procureur de la République et le procureur général déniaient avoir été partie prenante dans cette affaire, M. GERAULT, bien qu’évasif dans son audition du 3 juin 2015 (D155) a toutefois indiqué « Je confirme en tous points les dires de M DOUTRE ».
(…)
Or M. DOUTRE a indiqué avoir été en contact étroit avec M. GUERAULT pendant toute la journée.

Ce dernier a d’ailleurs indiqué que sans son accord, cette opération n’aurait pas été mise en œuvre. Il a reconnu avoir « validé » le dispositif dont il connaissait la nature :

« Il ne m'appartient pas de décider de mettre en place tel ou tel dispositif de police, M DOUTRE m'a dit qu'il s'en était ouvert à l'autorité judiciaire et j'ai effectivement validé en fin de matinée le dispositif qu'il m'a proposé ».

« Le dispositif global était d'enfermer la place BELLECOUR jusqu'à ce que la manifestation démarre ».

M. GUERAULT est donc également responsable dans cette affaire.


IV/ Les demandes de mises en examen

C’est en considération des éléments exposés ci-dessus qui sont autant d’indices graves et concordants que les parties civiles sollicitent la réformation de l’ordonnance de non-lieu et la mise en examen de M. DOUTRE et de M. GUERAULT pour ces différents délits.

1. Le délit de discrimination

Les textes d’incrimination ont été rappelés ci-dessus.

Les faits

Les attestations produites par les plaignants établissent la réalité des discriminations, ces documents constituent au moins des indices suffisants pour une mise en examen.

Parmi ces éléments, la jeunesse, l’origine supposée et le look « non-conforme » ont été les éléments permettant la discrimination.

Il est apparu que les services de police ont procédé à du « profilage ethnique ».
Le profilage ethnique consiste « en l’utilisation par les services de police, de sécurité, de l’immigration ou des douanes, de généralisations fondées sur la race, l’ethnicité, la religion ou l’origine nationale, plutôt que d’éléments liés au comportement individuel ou d’indices objectifs, pour servir de base aux soupçons sur lesquels on engage des actions discrétionnaires de maintien de l’ordre. Il peut également inclure des situations ou les politiques et les pratiques de maintien de l’ordre, bien qu’elles ne soient pas définies totalement ou en partie en référence à l’ethnicité, à la race, à l’origine nationale, ou à la religion, ont cependant un impact disproportionné sur certains groupes au sein de la population, et lorsque cet état de fait ne peut être justifié en terme d’objectif légitime de maintien de l’ordre et de résultats. »

Le profilage a permis une catégorisation des individus sur la base de certains de leurs caractéristiques observables afin d’en déduire qu’ils représentaient un danger, jusqu’à en faire selon les termes mêmes de M. DOUTRE, sans le moindre élément probant, et alors que les fouilles et contrôles d’identités établiront le contraire, « plus de 400 casseurs ».

Il appartiendra aux mis en cause de produire le film réalisé tout au long de l’après-midi du 21 octobre pour établir que ces discriminations n’ont pas eu lieu …
En l’état, si les autorités s’en sont bien gardées, c’est évidement parce que la réalité leur est très défavorable et que ce film établirait non seulement l’existence de discrimination mais sans doute aussi la commission de violences importantes et inutiles à l’endroit des manifestants piégés par le dispositif policier.
A titre d’exemple, on peut retenir les témoignages suivants

Identification des auteurs

Au regard des pièces de l’instruction, et en particulier des auditions de M. DOUTRE, de M. le Préfet, de M. le Procureur et de M. le Procureur Général, il est très clair que M. le DDSP DOUTRE a été la cheville ouvrière, selon les termes mêmes de M. le Préfet GERAULT, de cette opération de police. Il est tout aussi évident que celle-ci n’a pu se réaliser qu’avec l’accord de ce dernier qui reconnaît l’avoir validée, validation sans laquelle elle n’aurait pas pu intervenir.

Les auteurs principaux sont donc clairement identifiés.

Il y a lieu toutefois de mentionner qu’un certain nombre de fonctionnaires gradés et d’expérience ont sans doute exécuté les ordres tendant à la mise en place de ce dispositif tout en sachant que cet encerclement, long et violent, original à LYON par son ampleur, était illégal.

La qualification

Les exfiltrations au faciès ont été réalisées sous les ordres des précités.
Ces exfiltrations individuelles n’ont jamais eu pour objet d’évacuer la place et de mettre un terme au dispositif mais seulement pour objet de laisser sortir certaines personnes selon le faciès, des critères d’âges et d’appartenance à une ethnie, une race ou une religion vraie ou supposée.
Les faits de discriminations semblent constitués. A tout le moins, il existe des indices graves et/ou concordants justifiant les mises en examen.


2. le délit de violence aggravée

Les textes d’incrimination ont été rappelés ci-dessus.

Les faits

Les attestations produites par les plaignants établissent la réalité des violences subies.

Outre les différentes attaques de gaz tout au long de la journée que les images vidéo auraient illustrées, il faut retenir au moins que le dispositif lui-même a choqué les personnes prise contre leur gré dans cette nasse durant de très longues heures.

Le dispositif contesté est violent par nature.

La retenue pendant de nombreuse heures dans les conditions sus-décrites est une maltraitance caractérisée qui a eu des conséquences sur de nombreuses personnes. Certains témoins les ont décrites dans leur attestation.

Identification des auteurs

Au regard des pièces de l’instruction, et en particulier des auditions de M. DOUTRE, de M. le Préfet, de M. le Procureur et de M. le Procureur Général, il est très clair que M. le DDSP DOUTRE a été la cheville ouvrière, selon les termes mêmes de M. le Préfet GERAULT, de cette opération de police. Il est tout aussi évident que celle-ci n’a pu se réaliser qu’avec l’accord de ce dernier qui reconnaît l’avoir validée, validation sans laquelle elle n’aurait pas pu intervenir.

Les auteurs principaux sont donc clairement identifiés.

Il y a lieu toutefois de mentionner qu’un certain nombre de fonctionnaires gradés et d’expérience ont sans doute exécuté les ordres tendant à la mise en place de ce dispositif tout en sachant que cet encerclement, long et violent, original à LYON par son ampleur, était illégal.

La qualification

Les faits imposés aux victimes sont constitutifs de violences aggravées, par la qualité des auteurs, leurs nombre, les armes, la préméditation.

3. Le délit d’atteinte arbitraire à la liberté individuelle par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service publique

Le texte d’incrimination a été rappelé ci-dessus.

Les faits

Les faits sont établis. L’instruction a largement corroboré les termes de la plainte initiale.
Le dispositif mis en œuvre Place BELLECOUR le 21 octobre 2010 en début d’après-midi a été attentatoire aux libertés individuelles, à la liberté de manifester, à la liberté d’expression, et principalement à la liberté de circulation, privation qui constitue l’objet même de la mesure, à la sûreté des personnes.

Identification des auteurs

Comme indiqué plus haut, les auteurs ont été identifiés.
M. DOUTRE a tenté de faire croire à l’intervention du parquet dans la prise de décision sachant pertinemment qu’une telle mesure ne pouvait se concevoir en droit sans réquisition. L’argument a fait long feu. M. le Procureur et M. le Procureur Général ont été entendus. A cette occasion ils ont tous deux clairement contredit les propos du DDSP en indiquant qu’ils n’avaient délivré aucune réquisition, et que le mis en cause ne leur avait pas même demandé leur avis.

La qualification

- La nature de l’acte en cause, attentatoire aux libertés publiques, est conforme aux exigences du texte. Il s’agit d’une mesure de police préventive gravement attentatoire aux libertés ;

- La qualité des auteurs est conforme également puisque M. DOUTRE et M. le Préfet GUERAULT étaient tous deux dépositaires de l’autorité publique ;

- Les précités ont à l’évidence agit dans l’exercice de leur fonction ;

- Sur le caractère arbitraire de la mesure de police, les parties souhaitent faire les observations qui suivent  (V).


V/ Sur le caractère arbitraire de la mesure de police


1. Sur la distinction entre la constitution du délit et la cause d’irresponsabilité

Les juges d’instruction confondent selon nous la notion d’arbitraire et celle du fait justificatif.

Est un État de Droit, un État dans lequel tous les individus ou collectivités ont leurs activités déterminées et sanctionnées par le droit.

Tous mesure de police attentatoire aux libertés doit être clairement autorisée par la loi à défaut elle ne peut être qu’arbitraire, sauf fait justificatif, dûment prouvée par celui qui en excipe.

L’arbitraire se définit en droit français comme en droit européen par l’absence de fondement juridique à l’acte de police attentatoire aux libertés.

Or, il est constant qu’aucun texte ne permettait à l’autorité de police, dans le cadre d’une mesure de police purement administrative, c’est-à-dire purement préventive, sans la moindre réquisition, pas même orale (à supposer que ce concept soit juridiquement acceptable), de décider de priver plus de 700 personnes de leur liberté d’aller et venir pendant une durée de six à sept heures, dans les conditions de violence décrites au dossier.

Il s’ensuit que la mesure était arbitraire au sens de l’article 432-4 du Code pénal visant le fait d'ordonner ou d'accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle et illégale au sens de l’article 432-5 du code pénal visant le fait de s’abstenir volontairement de mettre fin à une privation de liberté illégale.

En conséquence, les juges d’instruction ne pouvaient motiver un non-lieu en retenant divers éléments factuels semblant établir que la mesure pouvait être utile et même indispensable au maintien de l’ordre pour soutenir que le délit n’est pas constitué faute « d’agissement d’arbitraire », c’est-à-dire en retenant un moyen, procédant d’une analyse juridique erronée de la notion d’arbitraire d’une part, et confondant les éléments constitutifs du délit et son fait justificatif d’autre part.

La notion d’arbitraire ne se rapporte en aucun cas d’un quelconque fait justificatif au sens de l’article 122-7 du Code pénal.

L’opportunité prétendue ou la nécessité, d’ailleurs non démontrée, de mettre en œuvre une mesure manifestement illégale ne peut en aucun cas établir que la mesure ne serait pas arbitraire.
En matière de police, et à fortiori en matière de police gravement attentatoire aux libertés individuelles, le caractère arbitraire de la mesure découle nécessairement de l’absence de texte légal fondant la mesure.

Le délit étant constitué, pourrait se poser la question de savoir si une exception est susceptible de constituer une cause de non responsabilité.

A cet égard, Force est de constater d’une part que le non- lieu n’est pas expressément fondé sur l’exception de l’état de nécessité et d’autre part que la charge de la preuve incombe à celui qui en excipe, les magistrats en l’espèce.

A ce sujet, plusieurs remarques s’imposent.
.

2. Sur l’absence de fait justificatif

2.1 Selon l’article 122-7 du code pénal :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »
L’état de nécessité selon la jurisprudence suppose que le délit soit le moyen d’éviter un danger supérieur, imminent et inévitable, caractère inévitable dont la preuve incombe au mis en cause et qui suppose la démonstration que tout autre moyen ne pouvait être mis en œuvre.

2.2 La motivation de l’ordonnance

Les juges d’instruction, confondant le délit et sa justification, sans démonstration juridique ni factuelle, ont choisi de rendre une ordonnance de non-lieu en considérant que la mesure de police revêtait un caractère de nécessité de nature à rendre « légitime » en relevant que :

- que des scènes de pillages et d’émeutes caractérisant un grave défi lancé à l’autorité de l’Etat » avaient été observées « courant octobre »
- que le 21 octobre au matin un rassemblement de jeunes gens se dessinait sur la place, où des groupements de casseurs avaient déjà été observés »
- que le nombre de personnes retenues aurait été de 500 personnes in fine
- que des manifestants ont lancé des pierres provoquant l’usage du camion à eau sans précision sur l’heure des faits ;
- «  Attendu toutefois qu’il peut être raisonnablement admis que les troubles du mois d’octobre 2010 revêtaient un caractère exceptionnel de fait de leur répétition et de la difficulté éprouvée par les forces de l’ordre pour procéder à des interpellations de bandes qui se reconstituaient après dispersion et se mêlaient aux manifestants ; que le faits étaient, (…) que les fonctionnaires de police autant que les riverains et les manifestants, adultes et surtout lycéens, étaient sévèrement exposés dans leur intégrité et leurs biens ; qu’un dispositif (…) a pu paraître nécessaire pour permettre à l’état de mener à bien sa mission constitutionnelle de sécurité ; que le « piégeage » sur la place BELLECOUR transformée en « nasse » entre 12h et 14h ne paraît pas illégitime dans la mesure où la montée en puissance de la présence policière était parfaitement publique et que des manifestants ou simples passants clairement identifiés ont pu être libérés en cours d’après-midi »

2.3 Sur le caractère imminent

Il ne serait être soutenu utilement que le danger auquel les services de maintien de l’ordre se serait opposé était actuel ou imminent.

Très clairement, les juges d’instruction ne font aucune démonstration de cette nature.

Surtout, rien n’indique au dossier que la manifestation du 21 octobre allait dégénérer en des faits de violences rendant nécessaire la mesure de police mise en œuvre.
Au moment du blocage, la place était calme. La place BELLECOUR était d’ailleurs calme depuis le matin.
Lors de la fouille systématique des personnes se trouvant sur la place, aucun indice n’a été trouvé permettant de soutenir (antécédents notoires, équipements divers tels foulard, bombes lacrymogènes, masques, protèges tibia, casques, armes etc) que des « casseurs » avaient infiltré la manifestation.
Aucun groupe réputé violent n’était repéré aux alentours de la manifestation.
Les débordements des jours précédents pouvaient faire redouter des agissements similaires le 21 octobre mais n’étaient pas de nature à constituer « l’état de nécessité » au sens de l’article 122-7 du code pénal. Ces faits de violences dataient de la veille. Ils n’étaient donc ni imminents ni actuels.
Les services de police étaient en capacité de travailler selon des méthodes plus classiques en repérant d’éventuels fauteurs de trouble via les caméras de l’hélicoptère et de procéder aux interpellations. A aucun moment, M. DOUTRE n’a pas expliqué de façon crédible pourquoi cette mesure était indispensable.

Rien n’indique que d’autres mesures de police, telle le repérage par hélicoptère des personnes susceptibles de nuire par leur comportement à l’ordre public et leur interpellation subséquente aurait été insuffisante. Pourtant, le visionnage des films vidéo réalisés par hélicoptère les 19 et 20 octobre, veille et avant-veille des faits dont s’agit, que les forces de l’ordre consentaient à communiquer, ont démontré la précision, la rapidité et l’efficacité de ces interventions.

M. DOUTRE lui-même reconnaissait que lorsque le dispositif était décidé dans la matinée, puis mis en place en tout début d’après-midi, alors qu’il n’existait aucun trouble sur l’agglomération de LYON et encore moins sur la place BELLECOUR, lieu du dispositif à cet instant.

Les jets de pierre mentionnés par l’ORTC sont postérieurs à la mise en place de la nasse. Ces jets de pierre, de faible intensité et de courte durée, ont été provoqués par le dispositif lui-même postérieurement au bouclage, pour la simple raison que celui-ci interdisait de fait à une part des manifestants de rejoindre le cortège.

La mesure de police contestée n’a pas été mise en œuvre pour faire face à un danger actuel ou imminent mais pour prévenir un risque tiré de faits s’étant déroulés la veille dont nul ne peut dire s’il se serait réalisé.

3. Sur la jurisprudence AUSTIN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI du 15 Mars 202 et la notion de circonstances exceptionnelles

Il convient enfin d’insister sur le fait que la jurisprudence européenne ne permet pas de soutenir, à titre préjudiciel, la légalité de l’opération contestée.

Il n’existe en la matière qu’une seule décision rendue par la Cour Européenne des Droits de l’Homme relative à un dispositif de confinement publié à ce jour. Il s’agit de l’arrêt AUSTIN et autres C/ Royaume-Uni rendu le 15 mars 2012 par la grande chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

La lecture attentive de cet arrêt démontre le bien fondé des prétentions des appelants. En aucun cas les circonstances décrites dans cette affaire pour admettre la mesure de police contestée ne peut justifier le rejet des demandes des parties, d’abord parce que la mesure de police n’ »a pas du tout été menée de la même façon, ensuite parce que les circonstances étaient très différentes.

En fait, le « kettling » sur Oxford-Circus le 1er mai 2001, consistait en la mise en œuvre d’un cordon de Police autour d’environ 2000 personnes. L’espèce jugée concernait donc la mise en oeuvre de la même technique de police.


3.1 Les premiers juges faisaient une description des faits repris dans l’arrêt de la Cour Européenne.

Il s’agissait à LONDRES d’une manifestation :

- sur le thème de la contestation du système capitaliste et de la mondialisation ;
- faisant suite à deux autres sur le même mot d’ordre ayant selon l’arrêt « été le théâtre de très grave troubles à l’ordre public » et d’ailleurs comparable à d’autres manifestations « alter mondialiste » (page 5 de l’arrêt) dans le monde pour des évènements internationaux, mention étant faite de la présence en novembre 1999 (première des trois manifestations à LONDRES) de 3000 à 5000 personnes portant des masques.
- faisant l’objet de renseignements de police selon lesquels «une large coalition de groupements écologistes, anarchistes et d’extrême gauche avaient l’intention d’organiser diverses manifestations dans vingt-quatre endroits de LONDRES correspondant aux cases du Monopoly, la journée devant se terminer par un rassemblement à Oxford-Circus » ;
- sans contact préalable avec la police et sans autorisation ;
- dont des lieux multiples et avec des parcours qui avaient été tenus secret ;
- pour laquelle les participants étaient directement et indirectement encouragés à porter des masques et à se livrer aux pillages et à la violence ;
- qui d’après le « Police special branch », allait regrouper à un noyau dur de 500 à 1000 manifestants résolus à chercher la confrontation et la violence (et équipés pour) ;
- en vue de laquelle le Maire avait fait paraître en Mars et en Avril plusieurs communiqués dénonçant les visées destructrices de cette manifestation et appelant les londoniens à s’en tenir à l’écart.
- en vue de laquelle il était fait appel aux fonctionnaires de police les plus expérimentés et pour laquelle les premiers jugent semblaient faire état d’une véritable concertation sur la stratégie à adopter bien que le déroulement de la journée soit peu prévisible, eu égard à la stratégie de certains des manifestants ;
- dont un certain nombre de participants à proximité de Oxford-Circus étaient vu masqués.
- qui prenait au dépourvu les policiers qui s’avéraient être en nombre insuffisant devant le nombre de manifestants dès 14 h, pour un rassemblement prévu à 16h.
- pour laquelle des haut-parleurs avaient été installés les jours précédents ce qui permettait qu’à 16h, les personnes retenues étaient informées sur le dispositif ;
- dont le bouclage aurait dû être en principe levé rapidement. Il était ainsi procédé à de nombreuses tentatives de lever du dispositif qui échouaient toutes en raison de la présence de groupes violents à l’intérieur et à l’extérieur du dispositif. Ces tentatives survenaient à 14h25, 16h55, 17h55, 19h30. La libération intervenait entre 20h et 21h45.

3.2 En droit, les juges anglais retenaient une approche « pragmatique », et jugeaient que ce dispositif ne constituait pas une privation de liberté au sens de l’article 5-1 de la CEDH compte tenu d’une part du but de la mesure consistant en la protection des biens et des personnes et, d’autre part, des circonstances dans lesquelles il était mis en place.

Lords HOPE, membre de la juridiction, évoquait cependant la durée du bouclage en retenant que si celle-ci a été particulièrement longue, cette durée ne devant faire aucune différence dès lors qu’était établi « l’impossibilité de libérer quiconque du cordon plus tôt » en raison « des circonstances indépendantes de la volonté de la police ».
A ce sujet, Lord Neuberger of Abbotsburry, également membre de la juridiction, considérait que « s’il apparaissait par exemple que la police avait maintenu le cordon, au-delà du temps nécessaire pour maitriser la foule, tant en vue de sanctionner les manifestants à l’intérieur du cordon que pour leur donner une leçon, cela donnerait lieu, à mon sens, à des considérations très différentes ».

Le premier écrivait aussi « toute mesure doit être prise de bonne foi et doit être proportionnée à la situation qui l’a rendue nécessaire. Cela est essentiel pour préserver le principe fondamental voulant que toute action qui affecte le droit à la liberté d’une personne doit être dénué d’arbitraire. »
Enfin, Walker of Gestinghope, membre de la juridiction, estimait que par cette opération, des policiers expérimentés avaient eu pour but d’éviter une catastrophe analogue à celle qui s’était produite à Red Lion Square le 14 juin 1974 (un manifestant tué), le temps de la levée du dispositif étant indépendante de la volonté des autorités de police.

3.3 La Cour Européenne, sans être tenue par cette description factuelle mais l’estimant adéquate, la reprenait en visant une manifestation violente dont « un noyau dur de 500 à 1000 personnes », ce qui n’est pas le cas dans l’affaire lyonnaise, et de nombreuses tentatives de lever le dispositif, « tout au long de l’après midi et de la soirée », tentatives avortées en raison de la violence des manifestants, ce qui n’est pas non plus le cas dans notre affaire.




3.4 La Cour Européenne des Droits de l’Homme jugeait en droit ce qui suit.

Le Gouvernement, pour les motifs visés dans la première décision, estimait qu’il n’y avait pas eu de privation de liberté au sens de l’article 5-1 de la Convention, et subsidiairement, que cette atteinte était justifiée au regard des articles 5-1 b ou plus subsidiairement au regard de l’article 5-1 c de la Convention.
Les requérants soutenaient la nécessité d’une analyse objective pour déterminer l’existence éventuelle d’une privation de liberté, un espace restreint, un temps non négligeable ; le but de la mesure ne devant être considéré que pour apprécier une éventuelle justification tirée des six buts des alinéas a) à f) de l’article 5-1.

En premier lieu, la Cour estime utile de relever que l’article 5-1 ne concerne pas les simples atteintes à la liberté de circuler, lesquelles obéissent à l’article 2 du protocole 4 (57).
(Ce Protocole n’a pas été ratifié par le Royaume-Uni mais il a été ratifié par la France.)

En second, la Cour énonce que pour déterminer si il y a eu une privation de liberté au sens de la Convention, il faut faire une appréciation concrète de la mesure à l’aide d’un faisceau d’indices permettant d’apprécier l’intensité de la mesure tel le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée (57).

En troisième lieu, la Cour indique que le but de la mesure n’est pas à prendre en compte pour déterminer s’il y a ou non privation de liberté quoique cette question soit pertinente dans un second temps, lorsque se pose le cas échéant la question de savoir si cette privation de liberté était justifiée (58).

En quatrième lieu, la Cour considère que, « sous réserve qu’elles soient le résultat inévitable de circonstances échappant au contrôle des autorités, qu’elles soient nécessaires pour prévenir un risque réel d’atteintes graves aux personnes ou aux biens et qu’elles soient limitées au minimum requis à cette fin, des restrictions de liberté aussi courantes ne peuvent à bon droit être regardées comme des privations de liberté au sens de l’article 5-1. (59) ».

Les critères posés par cet arrêt pour considérer qu’il n’y a pas privation de liberté au sens de la convention sont donc :
- des circonstances extérieures échappant au contrôle des autorités ;
- un risque réel d’atteintes graves aux personnes ou aux biens ;
- une réponse policière limitant l’atteinte aux libertés au minimum ;
Ces critères ont vocation à permettre la mise en œuvre, dans les circonstances ainsi circonscrites, de l’obligation d’assurer le maintien de l’ordre et la protection du public qui pèse en droit interne et en droit européen sur la police.

3.5 Appliquant ces critères au cas d’espèce, la Cour retenait la présence de 500 à 1000 personnes violentes constituant le « noyau dur » des manifestants, l’existence d’un risque réel de dommages graves voire de décès, le fait que les policiers avaient été pris au dépourvu par une manifestation difficilement lisible. La Cour insiste et détaille de multiples tentatives, la première dès les cinq premières minutes, de mettre fin au dispositif, tentatives manquées du fait de la présence de groupes violents à l’intérieur et à l’extérieur du dispositif (62;63).

En conséquence, la Cour considérait qu’il n’y avait pas eu de « privation de liberté » au sens de la convention, disant dans le même temps ne pas avoir à analyser l’existence éventuelle de justification en application des alinéas b) et c) de l’article 5.

Il y a lieu de rajouter que si les requérants ont échoué dans cette affaire à se prévaloir utilement d’une privation de liberté sur le fondement de l’article 5 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la Cour évoque toutefois, d’initiative, le protocole 4 non ratifié par le Royaume-Uni. En citant ces dispositions, la Cour laisse manifestement entendre que des « restrictions » au sens du Protocole Additionnel plutôt que « des privations » de liberté au sens de l’article 5 de la convention auraient pu être caractérisées dans l’affaire AUSTIN mais que le Royaume-Uni ne pouvait être condamné sur ce fondement, cet Etat n’ayant pas ratifié le protocole.
On rappellera ici que la France a, en ce qui la concerne, ratifié ledit protocole.

Hors, comme l’ « atteinte aux libertés » au sens de l’article 5-1 de la CEDH, la « restriction de liberté » au sens de l’article 2 du Protocole 4 est constitutive d’un acte attentatoire aux libertés et entre dans le champs d’application des articles 432-4 ; 432-5 ; 431-1 du Code pénal.

La liberté de circuler est définie l’article 2 du protocole 4 du 16.9.1963 à la convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la convention et dans le premier Protocole additionnel à la convention.

Selon ce texte,
« 
1 Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y
circuler librement
et d’y choisir librement sa résidence.
2 Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le
sien.
3
L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que
celles qui, prévues par la loi,
constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique,

au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à
la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et
libertés d’autrui. »

3.6 L’application de la décision de la Cour doit conduire la Chambre de l’instruction à faire droit aux demandes des requérants.

Ces derniers ne contestent pas la nécessité de procéder à une analyse « in concreto ». Les plaignants ne contestent pas d’avantages les critères d’appréciation fixés par la jurisprudence européenne.
Les parties civiles constatent qu’en l’espèce tous les critères définissant « la privation de liberté » sont réunis, à titre subsidiaire, et que les critères définissant la restriction de liberté sont également réunis.

3.6.1 Au plan factuel il faut relever ce qui suit.

A titre préliminaire, il est certain que le déroulement des faits aurait été plus précisément décrit si les autorités avaient communiqué le film vidéo de la manifestation réalisé durant toute l’après-midi par les caméras embarquées sur l’hélicoptère se trouvant en station juste à cents mêtres au-dessus de la place.
Le refus de communiquer ces images signe une volonté manifeste de dissimulation des autorités mis en cause.

La manifestation organisée à LYON avait pour objet de contester un projet de loi concernant notamment les conditions de départ à la retraite des salariés français.
Les syndicats et organisations professionnelles participants habituellement à la vie politique française appelaient à cette manifestation.
Aucune organisation « altermondialiste », crainte ou connue pour des actions violentes, n’avait annoncé vouloir participer à cette manifestation qui revêtait une dimension locale, d’autres manifestations étant organisées dans d’autres villes le même jour.

Les organisations syndicales avaient averti les autorités préfectorales, se soumettant ainsi à l’obligation de déclaration préalable, laissant à l’Etat la possibilité d’interdire la manifestation, ce que le Préfet n’avait pas jugé utile de faire bien qu’il eut pu jusqu’au dernier moment ;

Se faisant, les organisations syndicales déclaraient dans le même temps le lieu de rassemblement et le trajet que devait emprunter le cortège, indications qui allait être parfaitement respectées ;

Nonobstant des troubles survenus la veille et l’avant-veille dans le centre-ville de LYON, la matinée du jour de la manifestation n’avait été marquée par aucun incident ;

Le rassemblement des manifestants à partir de midi pour une manifestation pacifique qui devait partir de la Place BELLECOUR s’effectuait dans le calme, sans motif d’interpellation.

Aucun « noyau dur » de manifestants, aucune personne armée ou semblant vouloir attenter aux personnes ou aux biens n’était repéré. Les services de police ne procédaient à aucune interpellation avant le bouclage de la place.
Vers 19 heure, les fouilles systématiques de chaque personne libérée (outre vérification ou contrôle d’identité et photo) démontraient à postériori qu’aucun des manifestants n’était connu pour avoir participé en France ou à l’étranger à des manifestations violentes ; Il n’était saisi sur les manifestants ou sur la place aucune arme ni aucun objet de toute nature (masque ou autre) dont un manifestant doté d’intention malveillante aurait été susceptible de se munir.

La mise en place du « kettling » intervenait à 12h, et concernait au moins 700 personnes sur un périmètre correspondant à la surface de la Place.
La manifestation était coupée en deux parties, l’une dans le bouclage, l’autre à l’extérieur.

Les manifestants libres de se mouvoir n’étaient pas violents. Ils ne faisaient l’objet d’aucune mesure de police particulière. Des représentants syndicaux tentaient de négocier avec des responsables de la police la fin du bouclage, à tout le moins, la libération du maximum de personnes. Ces tentatives de négociations se faisaient dans le calme. La négociation permettait la sortie de quelques dizaine de personnes.

Plus tard, vers 16h, la manifestation s’ébranlait, laissant sur place les manifestants pris dans la nasse. Ce départ de la manifestation, qualifié de véritable abandon des personnes retenues par certains, devait laisser de profondes dissensions dans le mouvement social.

Le défilé partait tardivement et se déroulait jusqu’à son lieu d’arrivée, sans violence, sans incident, les manifestants encerclés restant seuls sur la place BELLECOUR, de 16h à 19h, sans le moindre groupe violent aux alentours.

Durant cette rétention, les services de police n’envisageaient à aucun moment de libérer les personnes retenues.
Aucune information ne leur était communiquées sur la durée de cette rétention ni sur les causes de cette retenue … sauf de fausses annonces de libération dans un coin opposé, provoquant des mouvements de personnes qui étaient reçues par des gaz lacrymogènes.

Au contraire, les manifestants ne mettaient jamais en difficulté le double cordon de CRS positionné autour du périmètre.
Ce cordon n’était la cible d’aucun assaut, ni de l’extérieur, ni de l’intérieur.

3.6.2 Au plan juridique, s’agissant d’un fait justificatif, la pleine démonstration appartient aux mis en cause.

Surtout, il apparaît très clairement que les trois critères énoncés par la Cour Européenne doivent conduire la chambre de l’Instruction à juger qu’il existe des indices graves ou concordants à l’encontre des mis en cause. Sans qu’il soit besoin de les reprendre tous, il convient d’articuler les trois critères juridique précédemment exposés avec les éléments de faits décrits plus concernant l’affaire « AUSTIN » d’une part et la présente espèce d’autre part.

Les deux affaires sont très différentes.

Dans la présente affaire, la réalité du risque fondé sur des considérations factuelles tenant au déroulement de la manifestation, dit autrement, le caractère imminent de la réalisation du risque, n’est pas démontrable. La manifestation du 21 octobre, en l’absence de toute intervention de police, aurait sans doute pu se dérouler sans incident.

Il n’existait pas de circonstances extérieures échappant au contrôle des autorités.

Il n’existait aucune circonstance extérieure au jour du 21 octobre 2010 échappant au contrôle des autorités.
Durant toute la journée, la situation a été sous contrôle.
Contrairement à l’affaire « AUSTIN », la manifestation était autorisée, son trajet connu. Au plan géographique, la manifestation était donc lisible, prévisible. Cela était très différent à LONDRES, seul le point de convergence des quatorze départs prévus étant connu avec certitude.
Contrairement aux circonstances londoniennes, les services de police n’ont jamais soutenu avoir été pris au dépourvu.
L’afflux des manifestants était conforme aux prévisions de lieu et de nombre.
Les revendications étaient connues.
La journée était calme en matinée.
Aucun évènement lors du déroulement de la manifestation n’a justifié la mise en place du dispositif.

Il n’a par ailleurs jamais été démontré ni même soutenu que d’autres techniques de police plus conventionnelle, telles des interpellations en cas de trouble à l’ordre public, n’aurait pas suffi au maintien de l’ordre, à supposer que ce jour-là l’ordre ait été troublé, ce que nul ne démontre.

Il n’existait pas de risque réel d’atteintes graves aux personnes ou aux biens ;

L’existence d’un risque de trouble ne peut être nié au regard des faits survenus la veille.
Pour autant, nul ne peut prétendre que ce risque allait se réaliser, qu’il était « réel » au sens de la jurisprudence de la cour Européenne.
Dans l’affaire AUSTIN, l’existence d’un risque grave à prévenir est tiré de constatations faites les jours précédents (organisations spécifiques des manifestants, appel du Maire, nature des groupes appelant à manifester, appel au pillage et à la violence) se rapportant directement au jour de la manifestation.
Mais le risque est d’avantage tiré de constats faits le jour même, de nature à démontrer selon la Cour la réalité de celui-ci.
Ainsi, en Angleterre, la décision a été prise devant une situation de fait qui a semblé imposer la mesure de police contestée alors qu’à LYON la mesure a été décidé et mise en place alors que la manifestation n’avait pas encore commencé, que le rassemblement n’était pas encore effectif.
Dans ces conditions, les faits survenus la veille ne peuvent suffire à caractériser un risque réel justifiant d’une atteinte aussi grave aux libertés d’aller et venir, au droit d’expression et de manifestation.

La réponse policière n’a tenu aucun compte de la nécessité de restreindre au maximum la portée du dispositif.

Ce fait est établi par les constatations suivantes :
Les autorités n’ont jamais prétendue a souhaité lever le dispositif rapidement, aussi rapidement que la situation le permettait ;
Dès 16 h, les manifestants qui n’étaient pas retenus avaient quitté les lieux de sorte que la levée partielle ou progressive du dispositif était possible, aucun groupe « hostile » ne se trouvant à proximité ;
Il n’a été procédé à aucune tentative de levée du dispositif jusqu’à 19h.

Ce dispositif de blocage s’est révélé véritablement punitif, de par notamment sa longueur, l’absence de toute information délivrée aux personnes retenues, les mauvais traitements, la présence constante d’un hélicoptère et du bris de ses pals, la peur, le sentiment de n’être plus rien, la pression psychologique imposée aux victimes de ce dispositif.
Comme d écrit plus haut par différents témoignage, les personnes retenues, souvent mineurs, ont été traumatisé par cet évènement et nombre d’entre-elles se sont ensuite abstenues de participer à toute manifestation ultérieure.


En conclusion, il y a lieu de rejeter tout argumentaire tendant à justifier le dispositif contesté soit au moyen qu’il ne s’agirait pas d’une atteinte aux libertés au sens de l’article 5-1 de la CEDH, soit que cette atteinte serait justifiée.

Conclusion

En considération des éléments développés ci-dessus, il apparaît qu’il existe des indices graves et concordants lesquels justifient le renvoi devant le tribunal correctionnel qui seul est compétent pour juger de leur culpabilité éventuelle.

En présence de ces indices graves et concordants, les juges d’instruction ne pouvaient pas porter une appréciation sur la culpabilité de ces derniers en exposant sans démonstration suffisante que « le « piégeage » sur la place BELLECOUR ne paraissait pas illégitime, portant ainsi une appréciation de fond sur une question qui doit nécessairement être soumise à la juridiction de jugement.

La légalité de ce type de mesure de police administrative, à caractère préventif, et gravement attentatoire aux libertés, mettant également en cause l’autorité du parquet et le principe de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire en matière de police, doit être soumise à l’appréciation d’une juridiction présentant toutes les garanties d’indépendance nécessaires.

La présomption d’innocence demeure mais les indices graves ou concordants sont réunis en l’espèce.



PAR CES MOTIFS


- Vu les Principes Constitutionnels dont la liberté d’aller et venir, la sûreté des personnes, la liberté d’expression, la liberté de manifestation politique et de réunion, la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire ;

- Vu notamment les articles 5 ; 10 ; 11 de la CEDH et 2 du Protocole 4 additionnel ;

- Vu les articles 222-11 ; 222-13 ; 225-1 ; 432-4 ; 432-7 ; 432-5 ; 431-1 du code pénal ;

- Vu les articles 177 ; 183 ; 186 du code de procédure pénale ;


Les parties civiles demandent à la chambre de l’instruction de LYON de bien vouloir :


Infirmer l’ordonnance de non-lieu dont appel rendu par les juges d’instruction ;


Renvoyer l’affaire à tel juge d’instruction qu’il plaira ;


Ordonner la mise en examen de M. DOUTRE, et de M. le Préfet GERAULT pour avoir commis les faits et sur les fondements ci-dessus explicités ;


Dire qu’il y a lieu au renvoi des précités devant le tribunal correctionnel pour être jugés.




SOUS TOUTES RESERVES.


1 Rapport 2010 p.4.
2 Précis sur les droits de l’homme n°5, document émanant du Conseil de l’Europe
3 Arrêt Kurt c/ Turquie, arrêt du 25 mai 1998,

4 Arrêt Dayanan c. Turquie, no 7377/03 et
arrêts Salduz c. Turquie, no 36391/02 (26.4.07) et Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, (27.11.08)
5 CEDH requête n° 3168 4/04 ;
6 CEDH Oya Ataman c/ Turquie, requête n° 7455 2/01) ;
7 CEDH Djavit An c/ Turquie, n° 2065 2/95, § 56, CEDH 2003 – II
8 CEDH Ashouguian c/ Arménie, n° 3228 6/03 § 89, 17 juil. 2008 ;


































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