MEMOIRE COMPLEMENTAIRE DE NOTRE AVOCAT MAITRE SAYN POUR FAIRE APPEL DU NON LIEU /AUDIENCE DU 22/02/2018
Maître
Bertrand SAYN
Avocat
– Toque 978
119
rue Pierre Corneille
69003
LYON
Tél.
04.37.43.08.94
Fax.
04.78.82.77.24
|
Cour
d’appel de Lyon
Chambre
de l’Instruction
N°
d’instruction : JICABDOY11000089
N°
de Parquet :
11222000146
|
MÉMOIRE
COMPLEMENTAIRE
APPEL D’UNE ORDONNANCE DE
NON-LIEU
POUR :
-- ATTAC Rhône, représenté par XXXXX ;
- les Alternatifs,
fédération du Rhône, représenté par XXXXX ;
- COVRA C/O G.
LEMEE, collectif lyonnais, représenté par XXXXX ;
- FCPE, Fédération
des Conseils de Parents d’Elèves du Rhône, représentée par XXXXX ;
- Fédération
Syndical Unitaire (FSU) représentée par XXXXX ;
- GAUCHE ALTER LYON,
représentée par XXXXX ;
- GAUCHE UNITAIRE,
représentée par XXXXX ;
- Ligue des Droits
de l’Homme, représentée par XXXXXX ;
- MRAP représenté
par XXXXX ;
- NPA 69, Nouveau
Parti Anticapitaliste, section Rhône, représenté par XXXXXX ;
- Parti Communiste
Français, représenté par XXXXXX ;
- Parti de
Gauche représenté par;
- Planning Familial
69, le mouvement français pour le planning familial, représenté par XXXXXX ;
- SAF, Syndicat des
Avocats de France, représenté par XXXXX ;
- SOS Racisme
Rhône, représenté par XXXXXX;
- UD CGT du Rhône, représenté par XXXXXX ;
- Union Syndicale
Solidaires Rhône, représentée par XXXXXXX ;
- Union Nationale
des Etudiants de France (UNEF), représentée par XXXXXX ;
- Union Nationale
Lycéenne, représentée par XXXXXXX ;
-
Mme
Violaine
GARCIA,
née
le 4 décembre 1991 à DECINES, de nationalité française, demeurant
11 Ter rue du professeur Roux à 69200 VENISSIEUX ;
-
Mme
Mathilda
MILLET, née le 11 avril 1992 à RENNES, de nationalité française,
demeurant 10 rue de la Bombarde à 69005 LYON ;
-
Mme
Florence
DEL CANTO, née 28 mars 1960 à LYON, de nationalité française,
représentant son fils M. Raphaël PELLET, né le 9 décembre 1994,
demeurant 18 allée des Dombes à 69330 JONAGE ;
-
Mme Leïla
MILLET, née le 13 mai 1989 à RENNES, de nationalité française,
demeurant 128 rue Paul Bert à 69003 LYON ;
-
Mme Nora
BONAL, née le 21 juin 1987 à MARTIGUES, de nationalité française,
demeurant 10 rue d’Aguesseau à 69007 LYON ;
-
Mme Catherine
VINCENSINI, née le 21 janvier 1966 à CHAMBERY, de nationalité
française, demeurant 21 rue Pasteur à 69007 LYON ;
-
M. Arnaud
RIVIERE
DE LA MURE, né le 21 décembre 1989 à CHARTRES, de nationalité
française, demeurant 2 Grande rue de la guillotière à 69007 LYON.
-
Marc
AURAY,
-
Mlle
PREVOST,
-
Mlle
BENKHEDA,
-
Mlle
TETON,
-
M.
DAMIEN SIMONIN,
-
M. COTTETE
EMARD,
-
Mlle RECOLLON
MINGAT,
-
M. FRIBOURG,
Ayant
pour Avocat,
Maître
Bertrand SAYN,
Avocat au Barreau de LYON y exerçant 119 rue Pierre Corneille à
LYON (69003) - Toque 978,
EN
PRESENCE DE :
-
M. DOUTRE, témoin assisté ;
Ayant
pour Avocat,
Maître
Gabriel VERSINI,
Avocat au Barreau de LYON ;
-
M. le Préfet GUERAULT, témoin assisté ;
Ayant
pour Avocat,
Maître
DOMENACH,
Avocat au Barreau de PARIS ;
-
M. Mme le Représentant du Parquet Général.
PLAISE
A LA CHAMBRE DE L’INSTRUCTION
Les
parties civiles ont relevé appel le 8 février 2017 de l’ordonnance
de non-lieu rendue dans cette affaire le 2 février 2017.
Cet
appel est recevable. Il est également fondé.
I/
Rappel des faits
Les
personnes et organisations signataires se sont constituées parties
civiles ensuite d’ « une garde à vue à ciel ouvert »
de plusieurs centaines de personnes d’une durée de six heures
dont elles ont été victimes le 21 octobre 2010, place BELLECOUR, à
LYON.
Les
plaignants ont porté plainte le 21 janvier 2011 entre les mains de
M. le Procureur de la République de LYON qui ne diligentait aucun
acte d’enquête relativement aux faits dénoncés pourtant d’une
nature exceptionnelle à LYON, au moins par leur ampleur.
Sur
la difficulté d’obtenir des enquêtes effectives mettant en cause
le fonctionnement des forces de l’ordre, on relèvera que cet état
de fait a été dénoncé par la Commission nationale de déontologie
et de la sécurité1.
Il y a là sans doute un domaine où le parquet peine à faire la
démonstration de son indépendance.
Ensuite
du délai de rigueur, les plaignants saisissaient le doyen des juges
d’instruction.
Ils
exposaient que cette mesure de police constituait une voie de fait
qui avait eu pour effet de priver les plaignants personnes physiques
de leur liberté d’aller et de venir, et de leur droit de
participer à une manifestation pacifique. Ce faisant, les
organisations syndicales et les partis politiques appelant à la
manifestation subissaient également un préjudice, la rétention de
plusieurs centaines de personnes au moment du départ du cortège les
privant d’une partie de leur effectif.
Dans
leur plainte, les plaignants faisant une description approfondie des
faits, laquelle devait être entièrement corroborée par les
investigations réalisées par le juge d’instruction.
Les
mis en cause refusaient de communiquer les films vidéo réalisées
tout au long de l’après-midi par un hélicoptère en station à
moins de cent mètres au-dessus de la place BELLECOUR.
Pourtant
la communication de ce document était demandée à plusieurs
reprises par les plaignants et le magistrat instructeur. Les mis en
cause, sûr de leur pouvoir face au juge judiciaire, refusaient de le
communiquer en prétextant la destruction du document ! Le juge
d’instruction ne réagissait pas face à ce refus ayant pourtant
pour seul objet de faire obstacle à la manifestation de la vérité.
Cette
dissimulation grave des images vidéo s’explique par le fait que
celles-ci auraient permis de connaître très clairement non
seulement le détail du déroulement de cette opération, mais aussi
de mesurer les violences commises contre les manifestants.
1.
Synthèse des faits du 21 octobre 2010
Le
jeudi 21 octobre 2010, alors que le Parlement était sur le point de
modifier la législation sur les retraites par un allongement des
durées de cotisation, était organisée, comme les jours précédents,
une manifestation populaire dont le premier objet était de s’opposer
à cette évolution législative.
C’est
à l’occasion de cette manifestation, au demeurant parfaitement
autorisée par l’autorité préfectorale, que les faits dénoncés
ont été commis.
Les
nombreux témoignages, dont ceux joints à la présente qui n’ont
été contestés par personne, démontrent comment la Place BELLECOUR
a été totalement fermée, entrée et sortie, par la mise en place
d’un double cordon de forces de l’ordre disposé tout autour de
cet espace, barrant le moindre accès.
Ce
dispositif opérationnel de 13H30 à 19H30 environ a immobilisé,
sans aucune distinction, plusieurs centaines de personnes dans le but
manifeste de les retenir « préventivement », de leur
interdire toute participation à la manifestation dont le départ
était fixé en début d’après-midi place Antonin PONCET, et
d’interdire également toutes allées et venues.
Si
dans l’ordonnance contestée les juges estiment devoir faire état
de sortie permises par les forces de l’ordre, les faits commandent
de retenir que ces sorties sont restées marginales en nombre et
parfaitement discriminatoires.
L’ambiance
du jour était calme. Aucune dégradation notable n’avait été
commise ce jour là, dans la matinée en particulier. Au moment de la
mise en place de la nasse, aucun trouble à l’ordre public n’avait
débuté.
Le
soir, à l’issue de cette opération, aucun manifestant n’était
interpellé pour avoir avant, pendant, après ou en marge de la
manifestation, procédé à des dégradations ou commis quelque délit
que ce soit.
Malgré
le calme de cette journée, des centaines de personnes ont été
retenues contre leur gré, sans eau, sans nourriture, sans toilettes,
sans information sur la durée de la retenue, gardées à vue sans
arrêt par un hélicoptère surplombant à quelques dizaines de
mètres les lieux, certaines des personnes ainsi retenues étant
d’ailleurs parfaitement étrangères à la manifestation en
préparation.
Prises
au piège pendant de très longues heures, exténuées, stressées,
celles-ci ont fini par pouvoir sortir de ce dispositif non sans avoir
fait l’objet d’un contrôle ou d’une vérification d’identité,
d’une fouille et de photographies individuelles quasi
systématiques, lesquelles ont permis vraisemblablement d’alimenter
ou de créer un fichier de police dont les investigations n’ont pas
établi s’il était déclaré.
La
mise en place de ce périmètre est décrite par de nombreuses
personnes.
Les
investigations ultérieures confortaient cette description de
l’opération de police dénoncée.
2.
Extrait des témoignages versés au dossier
Les
témoignages sont éclairants sur le niveau d’atteinte aux
personnes que cette mesure a provoqué.
Les
personnes restées détenues ont fini exténuées nerveusement et
très choquées.
Cette
mesure particulièrement stressante, violente, a profondément marqué
un grand nombre de manifestants notamment en ce que ceux-ci se sont
sentis totalement dépossédés de leur libre arbitre, restant à la
merci d’une décision de police arbitraire.
M.
Marc A., secrétaire du syndicat CGT du Vinatier, témoigne qu’à
son arrivée à 14H00 le cordon de CRS était déjà en place et que
plusieurs camarades de son syndicat y étaient bloqués.
Le
plaignant mentionne quels échanges il a eus avec les forces de
police sur place, ces dernières indiquant avoir réussi à bloquer
les casseurs, le plaignant indiquant que la manifestation avait été
dûment autorisée et que tout le monde devait avoir accès à cette
manifestation.
Le
même décrit également l’envoi de gaz lacrymogène très
rapidement de manière, décrit-il, à faire se mouvoir le cortège
pour l’essentiel rassemblé à la limite de la place BELLECOUR,
place Antonin Poncet.
Le
plaignant indique également que les dernières personnes ont été
libérées à 19H30 et de conclure :
« Mon
analyse tient en quelques mots : le responsable de la police
n’a, à aucun moment apaisé la situation en permettant aux gens de
la place BELLECOUR de sortir et de rejoindre la manifestation. Il y a
donc eu de grandes entraves au droit et à la liberté de manifester,
de se déplacer. Bien sûr la violence de cette provocation ne
pouvait entraîner que de fortes tensions… je trouve cela
inadmissible ».
Mme
Caroline B. décrit une manœuvre de filtrage de l’extérieur vers
l’entrée de la place BELLECOUR à 13H45.
La
plaignante indique aussi qu’à 14H00, les CRS laissaient entrer
tout le monde sur la place BELLECOUR tout en empêchant le passage de
BELLECOUR vers Antonin Poncet et décrit la présence de CRS barrant
toutes les issues, la présence du GIPN armé de fusils à pompe et
de chars anti-émeute équipés de lance à eau, puis les jets
rapides de gaz lacrymogène sur les manifestants se trouvant sur la
place BELLECOUR.
Mme
B. décrit ensuite de nouveaux jets de gaz lacrymogène, l’attitude
des jeunes venant régulièrement solliciter les CRS en les
« suppliant » de les laisser sortir… puis, le temps
passant « nous avons commencé à être réellement prises de
panique, le temps passait et nous ne voyions pas d’issue pour
sortir de là… une sorte de claustrophobie en extérieur ! »
Mme
Nora B. est restée prisonnière du dispositif de 14H00 à 19H00 et
décrit ce qu’elle a vu pendant cette longue après-midi. La
plaignante décrit notamment l’attente insupportable, l’impression
de savoir que ça va mal finir, les jets de gaz lacrymogène, la
confusion, la panique de certains, la peur et les malaises de deux
jeunes femmes.
A
19H00, Mme B. fait l’objet d’un contrôle d’identité, de la
fouille de son sac. La plaignante est interrogée sur son nom et son
adresse. Elle est prise en photo et numérotée. Un représentant des
forces de l’ordre lui dit « Vous êtes venue manifester ?
Ce n’est pas une manifestation ça, c’est un rassemblement, c’est
illégal. »
M.
Benjamin C. précise notamment qu’après avoir fait le tour de la
place, il constate que toutes les rues adjacentes sont bloquées et
que toute sortie est refusée à lui et à ses amis. Il constate
toutefois que les personnes de plus de 25-30 ans sortent sans
problème de cette place. Pour lui, il est clair que le mot d’ordre
est de laisser entrer les jeunes dans la place et de ne pas les
laisser sortir pour une durée indéterminée.
Le
plaignant indique : « nos inquiétudes sont confirmées
lors d’un rapide échange avec les forces de l’ordre. Je dis à
un CRS : « en gros vous ne laissez pas sortir les jeunes
et les autres c’est tout bon ? » Réponse « C’est
ça. Vous les jeunes vous ne sortirez pas avant 20H00 et même 21H00
si cela est nécessaire. »
M.
C. évoque un harcèlement policier, l’hélicoptère de la
gendarmerie ne cesse de tourner au-dessus de la place, des groupes de
CRS font des rondes, passent et traversent la place BELLECOUR pour
« réveiller » les jeunes, deux policiers de la brigade
anti-criminalité tournent sur une moto depuis une bonne demi-heure
dans la place. J’ai même vu, au moment où je les prends en photo,
un type traverser seul la place, se faire pousser par la moto roulant
à faible allure, les deux personnages lui disant de « dégager ».
Nous attendons, encore, toujours. C’est au bout de trois heures que
le harcèlement policier commence à porter ses fruits. Des jeunes au
début très dispersés et calmes, commencent à se rassembler et
demandent à sortir.
Au
cours de l’après-midi, les forces de l’ordre donnent l’assaut
contre ceux qui sont détenus depuis plusieurs heures et sans arme à
l’aide de canons à eau, de gaz lacrymogène. Le témoin évoque
des matraquages.
Enfin,
le plaignant décrit les contrôles d’identité, les fouilles
corporelles et photographies qu’il qualifie d’humiliations.
Raphaël
P., lycéen de 15 ans, décrit des jets de cailloux de jeunes
manifestants excédés ne pouvant pas rejoindre la manifestation.
Il
se dit enfermé et victime d’injustice car « Nous n’avions
rien fait de répréhensible ; c’était comme si les CRS nous
considéraient comme des délinquants. J’ai vu des gens qui
demandaient à sortir et les CRS lançaient des bombes lacrymogènes
sur eux et les ont frappés avec des matraques et puis par moment les
CRS envoyaient des bombes lacrymogènes comme s’ils jouaient avec
nous. »
A
l’appui de son témoignage, il est fait état de treize
enregistrements sonores susceptibles d’être produits aux débats.
Dans
des conversations, il est mentionné la présence de différents
représentants de syndicats « y a encore les drapeaux de
Solidaire, de la CGT, de la CNT. »
Le
plaignant découvre qu’il est prisonnier sur la place « l’idée
c’est qu’on aille pas vous rejoindre, si j’ai bien compris »
« bah je pense que c’est l’idée des flics d’empêcher
les deux cortèges de se rejoindre ».
Il
décrit le dispositif policier dont un hélicoptère en station
au-dessus de la place, les camions à eau, le cordon impressionnant,
deux hommes masqués de la brigade anti-criminalité qui sillonnent
la place à moto caméscope à la main et l’angoisse qui va peu à
peu monter avec le temps, le climat devenant de plus en plus
délétère.
Il
est question de 200 à 300 personnes qui sont restées sur la place
détenues sans aucune possibilité d’en sortir.
Le
plaignant décrit différentes scènes de violence.
Enfin,
Le plaignant décrit son contrôle d’identité, de son adresse, la
palpation, la fouille du sac, et la photo.
A
l’issue, il se décrit comme suit : « Je suis là mais
comme absent. Epuisé, en somme. »
Mme
Violette G. indique aussi comment des manifestants se sont trouvés
enfermés place BELLECOUR, les forces de l’ordre empêchant « les
centaines d’individus sur la place BELLECOUR de quitter la place,
que ce soit pour manifester, pour le boulot, aller aux toilettes ou
autre. »
Selon
la plaignante « la place BELLECOUR ressemblait à une garde à
vue en plein air, et elle regroupait plus de 500 individus. En fin
d’après-midi, les policiers ont utilisé un canon à eau sur les
manifestants.
Peu
à peu j’ai remarqué que certains jeunes réussissaient à sortir.
Je me suis rapprochée au plus possible de ce rang de CRS. Ils
demandaient les papiers de chaque personne, si elle n’avait pas ses
papiers, elle ne pouvait pas sortir. Pour ceux qui avaient leurs
papiers : les CRS prenaient nom, prénom, adresse. Ils prenaient
une photo de chaque personne présente sur la place et les
laissez-passer étaient accordés au faciès : les jeunes
d’origine étrangère ou légèrement typés, les jeunes ayant
capuche – foulard – baskets, soit disant « le style
vestimentaire du casseur » étaient presque tous retenus sur la
place. J’ai honte à le dire mais les individus à la peau blanche
pouvaient sortir presque sans aucun problème. Deux cars sont venus
chercher les jeunes à mettre en garde à vue, ils sont repartis
complétement plein, les jeunes remplissaient même les allées entre
les sièges. Une fois évacuée, la place visée, les forces de
l’ordre ont interdit l’accès à la place BELLECOUR jusqu’à
plus de 21H30. »
Leila
M. indique avoir été retenue pendant cinq heures place BELLECOUR et
décrit notamment la fin de l’après midi « vers 19H00, nous
avons été dirigés, par les CRS, qui resserraient les rangs, vers
la sortie côté Vieux LYON, où nous avons encore attendu de longues
dizaines de minutes. Je suis frappée par le fait que nous étions
entourés en grande majorité de jeunes de moins de trente ans, pour
la plus part étrangers (magrébins et africains) : des critères
de filtrage furent alors assez clairement dévoilés… »
Le
témoignage de Mme Matilda M. confirme que le dispositif dont il
s’agit a été mis en place dans le but initial de retenir de très
nombreux manifestants.
La
plaignante indique que les personnes détenues sur place ont été la
cible pendant l’après-midi de jets de gaz lacrymogène et du
camion équipé d’une lance à eau.
Mme
M. indique aussi que vers 18H30 « il n’y avait plus que des
jeunes, principalement des hommes, des étrangers, des punks et des
babs… un beau tri ayant été fait pendant tout l’après-midi !
(Les personnes âgées puis les adultes d’abord puis quelques
filles « propres sur elles » ayant été autorisés à
sortir avant le contrôle). »
La
plaignante reprend également les conditions dans lesquelles les
personnes restées détenues jusqu’à la levée du dispositif ont
fait l’objet d’un contrôle d’identité et d’une
photographie.
Dans
son témoignage Bruno P. fait notamment état des intentions
pacifiques des manifestants, de la présence de l’hélicoptère, de
l’usage des matraques et de gaz lacrymogène.
M.
Samuel P. décrit également cet après-midi.
Il
décrit l’usage des matraques, de gaz lacrymogène, de flash ball
en précisant « Un camarade a reçu à un mètre de moi une
balle de flash ball dans la cuisse et un ami s’est fait matraqué
car il était en première ligne. Au fond de moi je n’avais pas
vraiment peur car je n’avais rien à me reprocher, au contraire.
J’ai reculé pour échapper à la charge. »
Mme
P. explique comment les personnes présentes place BELLECOUR et place
Antonin Poncet ont été coupées par la mise en place du barrage de
police empêchant ceux se trouvant sur la place BELLECOUR de
rejoindre le cortège et ainsi de participer à la manifestation.
La
plaignante indique également qu’elle a été la réaction de foule
présente, puis, rapidement, les tirs de flash ball et de gaz
lacrymogène afin de faire reculer l’ensemble des personnes se
trouvant sur la place BELLECOUR voulant joindre, au-delà du cordon,
la manifestation place Antonin Poncet.
La
plaignante décrit avec beaucoup de détails les violences dont elle
a été témoin et notamment l’épisode suivant « un CRS qui
semble être le chef nous dit : on va vous faire sortir, côté
Saône. Allez y, dirigez vous vers là bas. Il semble gentil, et
conciliant, il a l’air aussi paniqué que nous et semble soulagé
de nous dire ça. Je demande si nous allons être fouillés ou pris
en photo, ou filtrés. Il me dit que non et que peut-être on va
vérifier nos papiers. Il essaye d’être rassurant. On commence à
y aller, avec Elisa, Damien et Claire. Elisa crie au CRS « Vous
allez pas nous gazer une fois là-bas hein ? » « Quand
vous nous dites d’aller quelque part, après vous nous gazez. »
Les CRS répondent avec méchanceté, agressivité, sont humiliants.
« C’est pas le bureau des pleurs ici, allez va, va,
va-t-en. » « Allez à demain » dit un autre en
riant d’un ton méprisant. « Y en a marre des ka soc. »
Elisa répète plusieurs fois au CRS « Mais vous allez pas nous
gazer ? » Un cordon impressionnant « plus de
trente » policiers de la BAC se déplace dernière nous et nous
pousse. Ils vont chercher tout le monde pour les diriger vers l’angle
de la place. On y va très lentement. Les policiers gazent le coin où
tout le monde commençait à s’entasser pour sortir, exactement
comme Elisa le disait. Les bras m’en tombent. Est-ce qu’ils
veulent nous rendre fous ? »
Camille
R. est restée enfermée place BELLECOUR du début d’après midi
jusqu’à 19H00, heure à laquelle les policiers lui ont demandé
son nom, son prénom, sa carte d’identité et ont pris une photo
d’elle.
La
plaignante évoque les gaz lacrymogènes, les charges de CRS sans
raison apparente, l’usage du canon à eau.
Damien
S. a rédigé un témoignage détaillé. Le plaignant décrit la mise
en place du cordon et comment la manifestation s’est trouvée
coupée en deux à la jonction des places BELLECOUR et Antonin Poncet
« C’est le moment de se rassembler pour la manifestation,
mais il semble que de plus en plus de personnes présentes place
BELLECOUR ne peuvent pas passer pour aller sur la place Antonin
Poncet. Les gendarmes mobiles et les CRS ont resserré le cordon
entre la librairie PRIVAT, le café de la Cloche, des membres de la
BAC viennent aussi près du cordon, les camions de la gendarmerie
mobile sont présents sur le carrefour.
Du
côté de la place BELLECOUR, il y a surtout des lycéen(ne)s et
étudiant(e)s. qui étaient déjà présent(e)s sur la place. Du côté
de la place Antonin Poncet il y a aussi des lycéen(ne)s, mais
davantage d’étudiant(e)s. et travailleur(euse)s. avec des
banderoles et des drapeaux syndicaux. »
Le
plaignant reste bloqué sur la place BELLECOUR. Pour la séparation
de la manifestation, le plaignant décrit la mise en place de « deux
cordons, un espace de plusieurs mètres de large et gardé vide au
milieu du carrefour, que les personnes ne peuvent pas traverser. Un
camion du GIPN est toujours devant la librairie PRIVAT, 5 ou 6
membres du GIPN présents à l’intérieur du camion en sortent
parfois, cagoulés et armés, pour éloigner les personnes qui se
rassemblent trop près du camion, puis ils rentrent à nouveau. Les
gendarmes et les CRS sont munis de casques et de boucliers, les
membres de la BAC sont présents à leurs côtés avec les casques et
des brassards. »
Le
plaignant décrit l’usage de gaz lacrymogène.
« Toute
la place est envahie de gaz lacrymogène. Autour de nous, plusieurs
groupes crient, pleurent, paniquent. On leur donne de l’eau, on
tente de les rassurer, ils/elles nous disent qu’ils/elles ont peur,
qu’ils/elles voulaient simplement participer à la manifestation ou
traverser la place, ils/elles ont peur de la police, d’être
arrêté(e)s et/ou blessé(e)s. On entend des cris qui viennent du
milieu de la rue côté Est de la place, une jeune fille est tombée
à terre et risque d’être piétinée dans les mouvements de foule,
les secours ne peuvent pas venir sur la place, les CRS refusent
d’intervenir. »
Enfin,
il
décrit
l’épisode au cours duquel, faisant état d’une sortie possible,
les forces de l’ordre ont regroupé un nombre important des
personnes détenues dans un coin de la place puis leur ont lancé du
gaz lacrymogène.
Le
plaignant décrit également, en fin d’après-midi, le déroulement
des fouilles et des contrôles et le fait que certaines personnes
seront conduites au commissariat pour vérification d’identité et
en conséquence emmenées dans un bus des services de police
immédiatement après le contrôle.
Mme
Catherine V. explique comment elle a été empêchée de rejoindre le
cortège syndical.
La
plaignante indique « j’ai seulement compris que le piège se
refermait, quand les CRS ont complètement séparé les deux cortèges
et nous ont repoussés vers la place BELLECOUR. Il y a eu un
mouvement de protestation, des huées et une volée de gaz
lacrymogène : on s’est retrouvé à courir vers la place et
on s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus sortir. »
La
plaignante évoque les exfiltrations discriminatoires, les tirs de
canon à eau vers 17H00 « alternant avec des tirs très fournis
de gaz lacrymogène » les malaises de deux jeunes femmes
évanouies.
La
plaignante conclut en indiquant « je suis dégoutée du
traitement infligé à ces jeunes, considérés comme des menaces à
priori et comme des délinquants confirmés dès qu’ils sont de
couleur. »
L’intéressée
a été libérée à 18H00.
Elisa
T. a été présente sur la place de 12H00 jusqu’en fin
d’après-midi.
Madame
T. fait état d’un dispositif policier très important dès 12H00
dont deux canons à eau installés au nord de la place. La plaignante
décrit un groupe de « pacifistes », « ils sont une
quinzaine dont un garçon plutôt grand qui porte un drapeau « P »
au couleurs de l’arc en ciel, il est bloqué par la police. A
partir de ce moment, je prends conscience que nous sommes
complètement bloqués. Nous approchons du côté du petit kiosque et
je vois encore des gens passer les cordons pour arriver vers nous, je
vais leur parler, ils me confirment qu’ils viennent d’entrer sur
la place mais qu’on ne peut apparemment plus en sortir. Mon ami
appelle un de nos amis qui se trouvent de l’autre côté pour
expliquer la situation et leur dire de venir nous rejoindre. Mais les
gens ne peuvent plus entrer dans la place BELLECOUR nous répond-il.
Le
temps que tout le monde comprenne la situation, et le cortège côté
libre (côté Antonin Poncet) commence à réclamer notre libération
en criant des slogans. »
Comme
tous les autres plaignants, Mme T. est détenue à l’intérieur du
dispositif. Celle-ci demande à sortir mais les policiers refusent.
L’intéressée indique « comme je ne sais pas pourquoi je
suis là ni ce qu’ils veulent faire de nous, je n’ai pas envie de
me retrouver sous les grenades lacrymogènes ou le camion à eau en
train de faire pipi. Je me retiens. Je vais me retenir comme ça
jusqu’à la fin. Je me demande comment font les autres filles,
surtout les filles qui ont leurs règles par exemple, ou les
personnes qui ont des problèmes rénaux. Et puis je me dis que faire
pipi sur la voie publique est en soit illégal. Je me sens encore
plus coincée, enfermée, sans possibilité de répondre à mes
besoins vitaux sans être dans l’illégalité… Je commence à
avoir faim aussi, les frites avalées en vitesse sont déjà loin et
je suis entourée de gens qui n’ont rien avalé à midi.
Un
lycéen avec qui je discute me raconte qu’avec un ami, ils ont
demandé à sortir et que le policier leur a répondu « vous
croyez vraiment que je vais vous laisser sortir avec la tête que
vous avez ? ». Globalement, la plupart des personnes avec
qui je vais parler ce jour-là sont des lycéens ou des lycéennes,
typés non blanc, qui me raconterons avoir subi des remarques de ce
genre. »
Comme
les autres plaignants, Mme T. décrit la fermeture de la place, une
tension forte au moment où une partie de la foule retenue place
BELLECOUR comprend qu’elle ne pourra pas rejoindre la
manifestation, une intervention policière importante avec de
nombreux jets de gaz lacrymogène puis une période de calme de
plusieurs heures.
La
plaignante décrit également, vers 17H00, une reprise de l’activité
policière avec de nouveaux jets de grenades lacrymogènes. Mme T.
décrit « la panique, la surprise, la violence ». « Des
grenades partent du côté sud de la place vers le milieu et vers
l’ouest. Tout le monde court pour fuir les gaz. Nous-mêmes nous
nous déplaçons le plus à l’est possible pour essayer de trouver
de l’air sans gaz que le vent rabat vers nous en plus. Mais les
grenades viennent de plus en plus vers nous et j’ai peur qu’elles
me tombent sur la tête. »
Alors
qu’elle tente de venir en aide à une jeune femme inanimée, la
plaignante s’adresse à un responsable des services de police en
lui indiquant « C’est n’importe quoi, qu’il va y avoir un
drame. » Selon la plaignante, le responsable répond « qu’il
sait » et a l’air inquiet et en parlant à sa collègue il
dit « qu’est-ce qu’ils font là, pourquoi ils chargent,
c’est qui ? C’est n’importe quoi, qu’est-ce qu’ils
font ? »
La
plaignante indique que l’usage du camion à eau est parfaitement
abusif « le but semble être de mouiller les gens puisqu’il
n’y a rien à disperser ».
La
plaignante décrit ensuite comment de nombreuses personnes ont été
rassemblées côté ouest au motif qu’ils pourraient sortir puis
ont été la cible de jets de grenades lacrymogènes.
Mme
T. décrit à plusieurs reprises les critères d’exfiltration. Etre
blanc ou non blanc semble être un critère déterminant.
Elisa
T. décrit sa libération et conclut ainsi « Je rentre chez moi
ensuite, avec mes amis. Le lendemain je me réveille, en pleurs. Je
n’arrive pas à sortir cette panique et cette incompréhension de
ma tête. Ce sera comme ça pendant plusieurs jours. J’admets alors
que j’ai subi un traumatisme. J’ai peur quand je vois des
policiers. Je n’ai plus confiance en cette institution, en ces
individus. Le sentiment d’avoir été puni de façon collective,
extrêmement violente, arbitraire et illégale ne me quitte plus
depuis. »
Au
terme de ces témoignages corroborés par les investigations
réalisées, il est établi qu’un dispositif policier a été mis
en place pour maintenir contre leur gré plusieurs centaines de
manifestants pendant de nombreuses heures.
Ces
faits sont susceptibles de qualifications pénales.
II/
Les qualifications pénales
Aux
termes de l’article 432-4 du Code pénal :
« Le
fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou
chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice ou
à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission,
d'ordonner ou d'accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la
liberté individuelle est puni de sept ans d'emprisonnement et de
100000 euros d'amende. »
Aux
termes de l’article 432-5 du Code pénal :
« Le
fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou
chargée d'une mission de service public ayant eu connaissance, dans
l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa
mission, d'une privation de liberté illégale, de s'abstenir
volontairement soit d'y mettre fin si elle en a le pouvoir, soit,
dans le cas contraire, de provoquer l'intervention d'une autorité
compétente, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros
d'amende (…). »
Aux
termes de l’article 431-1 du Code pénal :
« Le
fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces,
l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de
réunion ou de manifestation ou d'entraver le déroulement des débats
d'une assemblée parlementaire ou d'un organe délibérant d'une
collectivité territoriale est puni d'un an d'emprisonnement et de 15
000 euros d'amende.
Aux
termes des articles 222-11 et 222-13 du Code pénal :
« Les
violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou
égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de
travail sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros
d'amende lorsqu'elles sont commises :
(…)
7° Par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée
d'une mission de service public dans l'exercice ou à l'occasion de
l'exercice de ses fonctions ou de sa mission ;
8°
Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice
;
9°
Avec préméditation ou avec guet-apens ;
10°
Avec usage ou menace d'une arme ;
Les
peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75
000 euros d'amende lorsque l'infraction définie au premier alinéa
est commise sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime,
naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur le
mineur. Les peines sont également portées à cinq ans
d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende lorsque cette infraction,
ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou
égale à huit jours, est commise dans deux des circonstances prévues
aux 1° et suivants du présent article. Les peines sont portées à
sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende lorsqu'elle est
commise dans trois de ces circonstances. »
Aux
termes de l’article 225-1 du code pénal :
« Constitue
une discrimination toute distinction opérée entre les personnes
physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur
situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique,
de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation
économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de
leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte
d'autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques,
de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de
genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités
syndicales, de leur capacité à s'exprimer dans une langue autre que
le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie
ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une
religion déterminée. »
Aux
termes de l’article 432-7 du Code pénal :
« La
discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une
personne physique ou morale par une personne dépositaire de
l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public,
dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de
sa mission, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros
d'amende lorsqu'elle consiste :
1°
A refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi ;
2°
A entraver l'exercice normal d'une activité économique
quelconque ».
Confirmant
les termes de la plainte et des témoignages, l’instruction a
démontré la réalité factuelle de la rétention.
Or,
il est incontestable que les faits ainsi caractérisés sont une
détention arbitraire (1), véritable voie de fait, tant au regard de
l’article 5 de la C.E.D.H qu’au regard du droit interne.
Cette
voie de fait a constitué une atteinte à la liberté d’aller et
venir de chacun mais aussi à la liberté d’expression et de
manifestation des personnes présentes comme des partis politiques et
organisations syndicales appelant et participant à la manifestation
(2) telles que définies aux articles 10 et 11 de la Convention
Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés
Fondamentales.
Cette
voie de fait a été aussi constitutive de violences illégitimes sur
les manifestants (3) et l’occasion de discriminations (4).
1.
Une détention collective sans fondement textuel est une mesure
de police arbitraire en application du droit communautaire comme du
droit interne
► La
détention arbitraire en application de l’article 5 de la
Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des
Libertés Fondamentales
Selon
l’article précité :
« 1.
Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut
être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les
voies légales :
(…)
c.
s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant
l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons
plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il
y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher
de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement
de celle-ci ;
(…)
2.
Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court
délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son
arrestation et de toute accusation portée contre elle.
(…)
4.
Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a
le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il
statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne
sa libération si la détention est illégale.
5.
Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans
des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à
réparation. »
Selon
le Conseil de l’Europe2
« Les auteurs de la Convention ont renforcé par cet article
la protection de l’individu contre une privation arbitraire de sa
liberté par un ensemble de droits matériels conçus pour réduire
au minimum le risque d’arbitraire en prévoyant que l’acte de
privation de liberté est susceptible d’un contrôle juridictionnel
indépendant et engagera la responsabilité des autorités. […]
Sont
en jeu ici la protection de la liberté physique des individus ainsi
que la sûreté de la personne dans une situation qui, faute de
garanties, pourrait saper la prééminence du droit et soustraire les
détenus à l’empire des formes les plus rudimentaires de
protection juridique3 ».
Le
paragraphe 1 de l’article 5 exige donc que toute privation de
liberté s’effectue « selon les voies légales ».
Cette
exigence de régularité est interprétée comme applicable à la
fois au fond et à la forme.
En
outre, cette exigence doit être comprise comme imposant la
conformité de la détention au droit interne et à la Convention et
comme excluant tout arbitraire.
La
garantie de liberté est renforcée par deux exigences : ne pas
prolonger la privation de liberté au-delà du délai strictement
nécessaire et libérer rapidement l’intéressé lorsque la
privation s’avère injustifiée.
Enfin,
la sûreté des personnes commande que la détention s’effectue
selon des critères lisibles, connus de tous.
Selon
le droit européen, l’arbitraire se déduit de l’absence de
texte.
En
droit interne, le droit de retenir une personne (en l’espèce plus
de 600 !) contre son gré, est très clairement encadrée. Toute
rétention en garde à vue, fusse pour une personne susceptible
d’être poursuivie, sans formalité dûment remplie, sera
immédiatement considérée comme en détention arbitraire.
► Une
détention arbitraire au regard du droit interne
▪ La
Constitution française énonce le principe de sûreté des
personnes.
L’article
7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août
1789, pose le principe de l’interdiction des accusations,
arrestations et détention arbitraires, principe ayant valeur
constitutionnelle, (2004-492 DC, 2 mars 2004, journal officiel 10
mars 2004, p. 4637 cons. 3, rec. p. 66).
La
liberté d’aller et venir mentionnée aux articles 2 et 4 de la
même déclaration a également été affirmée en tant que principe
ayant valeur constitutionnelle (79-107 DC 12 juillet 1979, journal
officiel du 13 juillet 1979, p., cons. 3, rec. p. 31).
▪ La
loi et la jurisprudence administrative règlent les questions ayant
trait à la légalité des mesures de police et le contentieux
susceptible de naître de l’interdiction d’une manifestation ;
mais seules les règles de droit pénal et de procédure pénale
organisent les privations de liberté (sauf cas spécifiques non
pertinent en l’espèce : étrangers en situation irrégulière,
malades mentaux notamment).
A
tout le moins, parce qu’elle tend à résoudre une affaire à
caractère pénal chaque privation de liberté doit être faite sous
le contrôle de M. le Procureur de la République. En aucun cas, une
détention, fusse d’un seul individu, ne peut être mise en œuvre
par la police en mission de police administrative placée sous
l’autorité du pouvoir politique, sans aucun contrôle
juridictionnel effectif.
C’est
d’ailleurs le sens de l’article 5.1.c de la C.E.D.H.
Au
sens de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de
l’Homme, nul ne peut exciper de la nécessité de prendre des
mesures préventives à l’égard des personnes suspectées
d’infraction pénale si la détention n’a pas pour objet de mener
une instruction. Une telle privation de liberté, bien que légale
sur le plan interne, serait en effet contraire à l’article 5 de la
Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des
Libertés Fondamentales. Pour la Cour Européenne des Droits de
l’Homme, il est indispensable que la mesure restrictive de liberté
soit prise dans le but d’intenter des poursuites pénales contre
l’intéressé.
Or,
il n’a été relevé aucun indice à l’encontre des parties
civiles permettant de suspecter qu’elles auraient été
susceptibles de créer un trouble à l’ordre public, ou étaient
sur le point de commettre un délit.
▪ Le
droit français prévoit différentes hypothèses de privation de
liberté, avant décision d’un juge indépendant, qui sont les
suivantes :
-
une
retenue le temps strictement nécessaire à l’initiative de toute
personne, en cas de flagrant délit, dans le but de permettre sa
présentation aux services de police ;
-
une retenue de quatre heures dans le cadre d’une vérification
d’identité à l’encontre de celui qui n’a pu en justifier
alors qu’il était tenu de le faire. Cette retenue s’opère sous
l’autorité du Procureur
-
Le régime de la garde à vue.
La
loi applicable au 21 octobre 2010 organisait la privation de liberté
temporaire avant la présentation devant un magistrat ou la remise en
liberté sous les articles 68 et suivants du CPP. Cette retenue
s’opère sous l’autorité du Procureur.
La
Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé ce régime français
insuffisamment protecteur4
des droits et libertés fondamentaux. Pour autant, le régime de
garde à vue permettait d’encadrer de manière substantielle la
détention en permettant notamment :
-
la notification des faits reprochés,
-
un entretien avec un avocat au début de la mesure pendant trente
minutes,
-
le droit de rencontrer un médecin,
-
le droit de faire prévenir sa famille,
-
le contrôle du Procureur de la République,
-
une durée maximale.
Les
personnes retenues place BELLECOUR en exécution d’une mesure de
police préventive sans intervention d’un juge indépendant, sans
même une réquisition préalable du parquet, sans que M. DOUTRE
« juge » utile de prendre l’avis de M. le Procureur ou
de M. le Procureur général, n’ont bénéficié d’aucun de ces
droits et garanties.
Or,
aucun texte ne donne pouvoir à quelque autorité administrative que
ce soit de détenir les personnes contre leur gré.
▪ Il
convient de remarquer également que le principe fondamental de la
sûreté des personnes, de la lutte contre l’arbitraire et le
respect de la sécurité juridique exigent que toute règle invoquée
soit suffisamment précise pour permettre à une personne de prévoir,
à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause et en
s’entourant au besoin de conseil éclairé, les conséquences de
leur acte de façon à pouvoir éviter tout comportement susceptible
d’entraîner leur détention.
En
l’espèce, l’ensemble des plaignants ne pouvait en aucune façon
prévoir que leur présence place BELLECOUR en vue de participer à
une manifestation les conduirait à être retenus sur cette place
contre leur volonté, dans de telles conditions et pour cette durée.
▪ Considérant
d’une part qu’il a été démontré plus haut que plusieurs
centaines de personnes ont été retenues par la force en un lieu
clos pendant plusieurs heures ; et considérant d’autre part
qu’aucun des régimes applicables à la privation de liberté n’a
été mis en œuvre ; Il s’ensuit que la rétention des
personnes sur cet espace est dépourvu de tout fondement légal et
viole incontestablement l’article 5 de la Convention Européenne de
sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales et
l’ensemble des textes organisant la privation de liberté d’un
citoyen français et s’analyse en une détention arbitraire.
Nulle
opération de police administrative ne saurait conduire, hors tout
cadre légal, à une privation de liberté physique des individus, à
une interdiction du droit de manifester, à une restriction du droit
d’aller et venir, alors que la manifestation avait fait l’objet
d’une autorisation par les autorités administratives compétentes.
► Une
mesure de police sans fondement légal selon le Défenseur des Droits
Le
défenseur des droits a rendu un rapport en décembre 2017 sur le
maintien de l’ordre au regard des règles déontologiques
Dans
ce rapport (partie III et IV), le Défenseur des droits à
consacré un paragraphe concernant la technique policière de
maintien de l’ordre dite d’ « encagement » :
« Un
autre type d’intervention des pouvoirs publics dans les opérations
de maintien de l’ordre dont
le cadre légal est très incertain, voire inexistant,
consiste à priver plusieurs personnes de leur liberté de se mouvoir
au sein d’une manifestation ou à proximité immédiate de
celle-ci, au moyen d’un encerclement par les forces de l’ordre
qui vise à les empêcher de se rendre ou de sortir du périmètre
ainsi défini. Cette
technique appelée encagement, nasse, ou kettling, ne fait pas partie
des enseignements officiels et n’a pas de base légale.
Elle a néanmoins été utilisée lors de la manifestation « La
Manif pour tous » et, par la suite, à de nombreuses reprises et
sous des formats divers lors d’évènements ultérieurs dont a eu
connaissance le Défenseur des droits à l’occasion du traitement
des saisines. Le Défenseur des droits a été saisi de plusieurs
affaires mettant en cause un dispositif d’encerclement de
manifestants par les forces de l’ordre, durant plusieurs heures,
sans aucune possibilité de s’en extraire librement. Le Défenseur
des droits a recommandé qu’une réflexion soit engagée sur le
recours à cette technique de maîtrise des foules, au regard du
respect des libertés publiques et en particulier du droit d’aller
et venir, dans la perspective de l’adoption d’un cadre d’emploi
sur les conditions et modalités de mise en œuvre de l’encagement
86.85 Avis du Défenseur des droits n° 17-05- et 17-07. 86 Défenseur
des droits, décisions MDS-2015-126, 21 mai 2015, et MDS-2015-298, 25
novembre 2015.
40
Selon
la préfecture de police, les « nasses », en tant que technique
d’interpellation indiscriminée, ne seraient aujourd’hui plus
pratiquées et auraient été remplacées par des techniques
d’encerclement aux fins d’immobilisation ou pour isoler
temporairement une « nébuleuse » et la neutraliser. Cette mesure
est ainsi présentée comme le moyen de prévenir ou de mettre fin à
un trouble à l’ordre public. Il
a, en outre, été précisé que, dans ces situations, il est
systématiquement laissé une échappatoire aux personnes encerclées
par les forces de l’ordre. Or, notamment selon Amnesty
International, cette pratique, contraire à l’exercice démocratique
des libertés publiques, semble perdurer puisque des encerclements
ont été poursuivis pendant une durée prolongée à l’encontre de
manifestants pacifiques.
Les
représentants de l’inspection de la police nationale indiquent
qu’il n’existe pas aujourd’hui de stratégie d’encagement.
Alors que les contrôles d’identité délocalisés procèdent d’une
véritable doctrine anticipée, l’encagement se fait au cas par
cas, au regard des circonstances. S’agissant d’une atteinte à la
liberté d’aller et venir, ils estiment que cette technique doit
rester exceptionnelle et s’apprécier au cas d’espèce, sans
qu’un cadre d’emploi soit nécessaire, suivant le principe
d’absolue nécessité du fait d’un péril imminent.
Par ailleurs, selon eux, le fait d’imposer une échappatoire peut,
en fonction des situations, tout aussi bien assurer la sécurité des
manifestants que les exposer à des risques. Pour pallier l’absence
de cadre d’emploi, une fiche technique a été élaborée par la
cellule Synapse de la préfecture de police précisant notamment la
nécessité de limiter dans le temps l’immobilisation et de tenir
compte de l’état potentiel de vulnérabilité des personnes
concernées. Selon les Lignes directrices de l’OSCE/BIDDH « les
stratégies de contrôle des foules basées sur l’encerclement et
l’isolement - une tactique connue au Royaume-Uni sous le nom de
kettling- ne devraient être utilisées qu’à titre exceptionnel
»87. La Cour européenne des droits de l’homme qui se prononçait
sur des faits survenus lors d’une manifestation organisée au
Royaume-Uni, a adopté une position similaire. Dans l’affaire
Austin et autres c/ Royaume-Uni, du 15 mars 2012, la CEDH a conclu
que, dans les circonstances très particulières de l’affaire (un
rassemblement de plus de 1500 manifestants, dont plus de la moitié
étaient violents, en plein centre de Londres), le maintien de
plusieurs centaines de manifestants dans un cordon pendant sept
heures avait été rendu nécessaire pour prévenir des atteintes
graves aux personnes et aux biens et qu’elle ne constituait pas une
privation de liberté. Elle a néanmoins précisé que « compte tenu
de l’importance fondamentale de la liberté d’expression et de la
liberté de réunion dans toute société démocratique, les
autorités nationales doivent se garder d’avoir recours à des
mesures de contrôle des foules afin, directement ou indirectement,
d’étouffer ou de décourager des mouvements de protestation ».
87
OSCE/BIDDH, Lignes directrices sur la liberté de réunion
pacifique, 2010 § 160, p76.
En
outre, le Rapporteur spécial des Nations-unies sur les droits à la
liberté d'association et de réunion pacifique estime que la
technique de l’encagement est « intrinsèquement préjudiciable à
la liberté d’expression et d’assemblée pacifique, eu égard à
sa nature indiscriminée et disproportionnée » 88. Le principe de
légalité s’impose comme condition nécessaire à l’action des
forces de l’ordre, en particulier dans le cadre d’opérations
contraignantes pour l’expression des libertés, et ces techniques
qui portent atteinte à la liberté d’aller et de venir, à la
liberté de manifestation ou d’expression notamment, doivent donc
être dénoncées. Le Défenseur des droits, s’il considère que la
technique de l’encerclement peut être utilisée dans certaines
circonstances à l’occasion des opérations de maintien de l’ordre,
recommande l’adoption d’un cadre d’emploi définissant
strictement les conditions et les modalités du recours à cette
mesure et prévoyant notamment la nécessité d’une échappatoire,
une durée non excessive, ainsi qu’un dialogue avec les personnes
concernées.
RECOMMANDATION
n°6 : Le Défenseur des droits recommande que la technique de
l’encagement, mesure privative de liberté ne reposant sur aucune
base légale, soit strictement définie par un cadre légal dans la
mesure où le recours à cette technique apparaitrait indispensable
face à certains types de manifestants.
Les
plaignants sont donc parfaitement fondés à dénoncer une voie de
fait se traduisant par une détention arbitraire des plaignants et
une atteinte aux droits fondamentaux.
2.
Une détention collective attentatoire aux droits fondamentaux selon
le droit européen et le droit interne
La
détention de nombreux manifestants s’est traduit par, outre la
privation de liberté des personnes ainsi retenues, une atteinte
grave au droit d’expression, au droit de réunion, au droit de
manifestation, violation subie tant par les personnes physiques que
par l’ensemble des organisations politiques et syndicales
appelantes et présentes pour cette manifestation.
Ces
libertés sont protégées en droit interne en par la CEDH.
Aux
termes de l’article 10 de la C.E.D.H :
« 1.
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend
la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer
des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence
d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le
présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les
entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un
régime d'autorisations.
2.
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des
responsabilités peut être soumis à certaines formalités,
conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui
constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité
territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et
à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la
morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui,
pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour
garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
Aux
termes de l’article 11 de la C.E.D.H :
« 1.
Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la
liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres
des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de
ses intérêts.
2.
L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions
que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à
la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le
présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes
soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des
forces armées, de la police ou de l'administration de l'Etat. »
Dans
une affaire Barraco c/ France5,
la Cour de Strasbourg a rappelé que pour une manifestation sous la
forme d’un rassemblement et d’un défilé, la liberté de penser
et la liberté d’expression s’effacent devant la liberté de
réunion pacifique6et
doit donc s’analyser sous l’angle de l’article 11 de la
convention.
Au
paragraphe 41 de ce même arrêt, la Cour observe que le droit à la
liberté de réunion est un droit fondamental dans une société
démocratique et, à l’instar du droit à la liberté d’expression,
l’un des fondements de pareille société. Dès lors, il ne doit
pas faire l’objet d’une interprétation restrictive7,
ce droit couvrant à la fois les réunions privées et celles tenues
sur la voie publique, ainsi que les réunions statiques et les
défilés publics ; en outre, il peut être exercé par les
individus et par les organisateurs.
Une
atteinte au droit fondamental est possible si elle correspond à un
« besoin social impérieux » et si l’atteinte est
« proportionnée au but légitime visé »8.
► Il
résulte de ces textes que l’atteinte est caractérisée.
La
description des faits caractérise l’intention pacifique des
manifestants.
Les
forces de l’ordre n’ont relevé aucun incident majeur à
l’initiative des manifestants « libres » ou des
personnes détenues. De manière générale aucune infraction commise
à l’encontre des biens ou des personnes n’a été relevée, en
particulier avant le bouclage de la place.
Dans
le même sens, les fouilles réalisées lors des exfiltrations et
celles réalisées juste avant la levée du dispositif sur la
quasi-totalité des personnes encore présentes ont permis de
constater qu’aucune d’entre elles n’était armée.
Enfin,
si le dispositif policier privant les personnes détenues de leur
liberté pendant plusieurs heures a pu susciter quelques réactions
mineures telles que des jets de pierres sporadiques à l’encontre
des forces de l’ordre dont la maîtrise de la situation était
totale, il est clair que ces réactions n’ont pas motivé
l’opération consistant à fermer la place, pas plus qu’elles
n’ont contraint les forces de l’ordre à maintenir le dispositif.
3.
Une action de police intrinsèquement constitutive de violences
illégitimes commis sur les manifestants retenus.
Le
dispositif policier extrêmement maîtrisé n’a à aucun moment été
mis en difficulté par les personnes présentes et venues manifester.
Ni
arme, ni arme par destination, n’ont été saisies. Il paraît
dérisoire de justifier l’emploi de la force par les gendarmes à
l’encontre des manifestants en prétextant des jets de pierres,
tout aussi inoffensifs que prévisibles.
Pourtant
les forces de l’ordre ont usé de flash-ball, de canons à eau, et
de très nombreuses grenades de gaz lacrymogène, semblant, de l’avis
de nombreuses personnes présentes, « jouer » avec les
personnes ainsi parquées et sans défense en provoquant des
mouvements de foule d’un côté de la place vers un autre.
Les
personnes prises au piège rapportent s’être senties
particulièrement humiliées.
Comment
en aurait-il pu être autrement en étant à la merci des forces de
l’ordre, pour une durée inconnue, pris par surprise dans une
véritable souricière et sans en comprendre les motifs ?
Privées
de toute information, parfois volontairement désinformées notamment
par des annonces leur promettant une possibilité de sortie de
l’autre côté de la place, privées des commodités d’hygiènes
élémentaires, de nourriture et d’eau, les personnes détenues ont
vécu ces longues heures dans une ambiance particulièrement
stressante.
Leur
témoignage permet de comprendre que ces personnes ont été très
vivement impressionnées par ces faits qui se sont révélés
traumatisant pour beaucoup.
Les
faits dénoncés sont constitutifs de violences en réunion et avec
armes.
4.
Une action de police discriminatoire
Toutes
les sorties du dispositif, sauf celles réalisées à la demande des
organisations syndicales négociant avec certains représentants des
force de l’ordre peu après le bouclage définitif du périmètre,
ont été faites au faciès, les agents estimant de façon totalement
arbitraire qui, parmi les personnes déjà pris dans le dispositif
interdisant à tout un chacun de s’en échapper, pouvait être
autorisé à sortir.
III/
L’identification des auteurs
1.
Par acte en date du 5 février 2015, les parties civiles ont fait le
point sur l’état d’avancée du dossier et ont demandé au juge
d’instruction de bien vouloir procéder à un certain nombre
d’actes complémentaires soit :
-
l’audition de Monsieur Marc DESERT, Procureur de la République du
Tribunal de grande instance de LYON au jour des faits,
-
l’audition de Monsieur Olivier VIOUT, Procureur Général de la
Cour d’appel de LYON au jour des faits,
-
l’audition de Monsieur Jacques GERAULT, Préfet de région
Rhône-Alpes au jour des faits,
-
l’audition de deux syndicalistes sur la « libération »
de 100 jeunes non casseurs, fruit d’une négociation menée par
Monsieur DOUTRE et les organisateurs, Monsieur Yves JALMAIN et
Monsieur Marc AURAY.
-
Rechercher le cas échéant toutes réquisitions du parquet
autorisant le blocage de la place, les contrôles et vérifications
d’identité, les photographies …
-
Interroger Monsieur Brice HORTEFEUX, Ministre de l’Intérieur de
l’époque, sur les ordres donnés aux autorités de police
Lyonnaise lors de sa venue le 20 octobre 2010,
-
Se faire communiquer les images vidéo du 21 octobre 2010, savoir qui
les détient, identifier les personnes s’opposant à l’autorité
judiciaire et faisant obstacle à l’instruction, étant précisé
que les services de police ont déjà feint, à deux reprises, de
communiquer ces images tout en communiquant les images de la veille
et l’avant-veille.
Par
acte subséquent, le juge procédé à la quasi-totalité de ces
actes d’instruction qui ont tous permis de contribuer à la
manifestation de la vérité.
2.
Les auditions de M. le Procureur de la République du Tribunal de
grande instance de LYON et de M. le Procureur Général ont permis
d’infirmer très clairement les déclarations de M. DOUTRE
prétendant avoir agi en relation étroite avec ces deux hommes, avec
leurs autorisations, se prévalant de leurs autorisations voire de
« réquisitions orales ».
Contrairement
aux déclarations de M. DOUTRE, les intéressés ont déclaré qu’ils
n’avaient jamais été associés à cette opération qui s’avérait
en conséquence être d’initiative, de conception et de réalisation
policière.
Interrogés
sur la réquisition se trouvant au dossier, il a également été
établi que ce document n’avait aucunement été dressé par les
services du Parquet en vue de la réalisation de l’opération
contestée.
Cette
information vient corroborer le contenu du document lui-même qui
s’avère être une réquisition, non datée, faite pour des
contrôles d’identité très usuels sur le périmètre, incluant
notamment les échangeurs de métro de la place BELLECOUR,
réquisition en aucun cas relative à une opération aussi
singulière.
En
outre, les recherches effectuées n’ont pas non plus permis la
production de réquisitions pouvant sérieusement concerner
l’opération de police contestée.
Il
a donc été parfaitement établi par l’instruction que le Parquet
de LYON n’a aucunement validé le dispositif et qu’il s’agit là
d’une opération de police administrative pure dont il a été
établi, par ailleurs, le caractère manifestement attentatoire aux
libertés, en dehors de tout texte légal.
3.
Sur la responsabilité de M. DOUTRE et de M. GUERAULT.
Dans
son audition du 10 novembre 2015 (D163), M. DOUTRE a reconnu -voir
revendiqué- avoir mis en place la mesure administrative.
A
la question :
« Peut-on
dire que, dès midi, l'objectif de bouclage de la place BELLECOUR
associé à des contrôles et vérifications d'identité était
d'identifier les personnes présentes afin d'une part de mener des
enquêtes en cours et d'autre part de dissuader la réitération
d'infractions ? »
L’intéressé
répond :
« J'ai
proposé une solution pour éviter l’infiltration de la
manifestation. Si la manifestation
était
partie comme prévu et s'il n'y avait pas eu de jets de pierre, on
n'aurait pas eu besoin de procéder à des contrôles d’identité.
On avance en marchant. C'est en s'apercevant de la
virulence
des fauteurs de troubles que j'ai proposé au Procureur de la
République une issue calquée sur celle de la veille ».
Déjà
le 26 mars 2013 (D85), l’intéressé indiquait :
« Des
choix atypiques de réponses judiciaires comme d'ordre public ont été
mis en œuvre par mes soins après concertation et contrôle des
différentes autorités administratives et judiciaires de l'époque.
Je précise qu'au quotidien à cette époque, j'étais en contact
étroit avec le Préfet de région Jacques GERAULT, le Procureur de
la République Marc DESERT, et le Procureur général Olivier
VIOUT ».
Comme
mentionné plus haut (D62), M. le Procureur Général en fonction à
l’époque a toutefois clairement indiqué « Concernant M.
DOUTRE qui venait d’arriver à LYON, je n’ai eu aucun contact
téléphonique pendant ces trois jours ».
M.
DOUTRE a également indiqué (D96), « J’ai quasiment suivi
tout le dispositif à partir de la fin de matinée depuis la salle de
commandement et c’est moi qui en ait assumé la responsabilité »
(…)
« Pour
toutes les décisions importantes, mon adjoint, Jean-Michel POREZ
agissait sur mes instructions, et c'est ce qui ressort à la radio à
l'écoute de la conférence »
(…)
« Il
a été décidé sur mes directives, et après que je m'en sois
ouvert au Préfet de région et au procureur de la République, un
dispositif d'enfermement de la place »
(…)
« Le
dispositif de blocage (…) a été validé téléphoniquement par le
Préfet de région, et j'en ai ensuite informé également par
téléphone le Procureur de la République, en lui expliquant
l'intérêt du dispositif. Cela n'a pas soulevé d'objection de sa
part. Inversement le dispositif de contrôle d'identité a été
validé par le procureur sur la base de réquisition. (…) Dans mon
souvenir il s'agissait de réquisitions verbales ».
De
son côté, M. Jean-Michel POREZ, à l’époque DDSP adjoint du
Rhône (D95) a clairement indiqué avoir reçu ces instructions de la
part de M. DOUTRE pour procéder à la fermeture. L’intéressé
précisant que la décision avait été prise d’un commun accord
avec le préfet et le procureur de la République.
On
relèvera enfin que M. DOUTRE s’est exprimé dans la presse
(article LYON Capitale du 21 octobre 2010) comme le responsable de
cette action de police.
Il
ne fait donc aucun doute que celui-ci est le principal responsable
dans cette affaire pour avoir décidé, organisé et suivi cette
mesure de police de bout en bout.
► L’audition
de M. GERAULT réalisée le 3 juin 2015 (D155) a permis de conforter
la responsabilité de M. DOUTRE mais aussi d’établir sa propre
responsabilité.
Si
le procureur de la République et le procureur général déniaient
avoir été partie prenante dans cette affaire, M. GERAULT, bien
qu’évasif dans son audition du 3 juin 2015 (D155) a toutefois
indiqué « Je confirme en tous points les dires de M DOUTRE ».
(…)
Or
M. DOUTRE a indiqué avoir été en contact étroit avec M. GUERAULT
pendant toute la journée.
Ce
dernier a d’ailleurs indiqué que sans son accord, cette opération
n’aurait pas été mise en œuvre. Il a reconnu avoir « validé »
le dispositif dont il connaissait la nature :
« Il
ne m'appartient pas de décider de mettre en place tel ou tel
dispositif de police, M DOUTRE m'a dit qu'il s'en était ouvert à
l'autorité judiciaire et j'ai effectivement validé en fin de
matinée le dispositif qu'il m'a proposé ».
« Le
dispositif global était d'enfermer la place BELLECOUR jusqu'à ce
que la manifestation démarre ».
M.
GUERAULT est donc également responsable dans cette affaire.
IV/
Les demandes de mises en examen
C’est
en considération des éléments exposés ci-dessus qui sont autant
d’indices graves et concordants que les parties civiles sollicitent
la réformation de l’ordonnance de non-lieu et la mise en examen de
M. DOUTRE et de M. GUERAULT pour ces différents délits.
1.
Le délit de discrimination
Les
textes d’incrimination ont été rappelés ci-dessus.
Les
faits
Les
attestations produites par les plaignants établissent la réalité
des discriminations, ces documents constituent au moins des indices
suffisants pour une mise en examen.
Parmi
ces éléments, la jeunesse, l’origine supposée et le look
« non-conforme » ont été les éléments permettant la
discrimination.
Il
est apparu que les services de police ont procédé à du « profilage
ethnique ».
Le
profilage ethnique consiste « en l’utilisation par les
services de police, de sécurité, de l’immigration ou des douanes,
de généralisations fondées sur la race, l’ethnicité, la
religion ou l’origine nationale, plutôt que d’éléments liés
au comportement individuel ou d’indices objectifs, pour servir de
base aux soupçons sur lesquels on engage des actions
discrétionnaires de maintien de l’ordre. Il peut également
inclure des situations ou les politiques et les pratiques de maintien
de l’ordre, bien qu’elles ne soient pas définies totalement ou
en partie en référence à l’ethnicité, à la race, à l’origine
nationale, ou à la religion, ont cependant un impact disproportionné
sur certains groupes au sein de la population, et lorsque cet état
de fait ne peut être justifié en terme d’objectif légitime de
maintien de l’ordre et de résultats. »
Le
profilage a permis une catégorisation des individus sur la base
de certains de leurs caractéristiques observables afin d’en
déduire qu’ils représentaient un danger, jusqu’à en faire
selon les termes mêmes de M. DOUTRE, sans le moindre élément
probant, et alors que les fouilles et contrôles d’identités
établiront le contraire, « plus de 400 casseurs ».
Il
appartiendra aux mis en cause de produire le film réalisé tout au
long de l’après-midi du 21 octobre pour établir que ces
discriminations n’ont pas eu lieu …
En
l’état, si les autorités s’en sont bien gardées, c’est
évidement parce que la réalité leur est très défavorable et que
ce film établirait non seulement l’existence de discrimination
mais sans doute aussi la commission de violences importantes et
inutiles à l’endroit des manifestants piégés par le dispositif
policier.
A
titre d’exemple, on peut retenir les témoignages suivants
Identification
des auteurs
Au
regard des pièces de l’instruction, et en particulier des
auditions de M. DOUTRE, de M. le Préfet, de M. le Procureur et de M.
le Procureur Général, il est très clair que M. le DDSP DOUTRE a
été la cheville ouvrière, selon les termes mêmes de M. le Préfet
GERAULT, de cette opération de police. Il est tout aussi évident
que celle-ci n’a pu se réaliser qu’avec l’accord de ce dernier
qui reconnaît l’avoir validée, validation sans laquelle elle
n’aurait pas pu intervenir.
Les
auteurs principaux sont donc clairement identifiés.
Il
y a lieu toutefois de mentionner qu’un certain nombre de
fonctionnaires gradés et d’expérience ont sans doute exécuté
les ordres tendant à la mise en place de ce dispositif tout en
sachant que cet encerclement, long et violent, original à LYON par
son ampleur, était illégal.
La
qualification
Les
exfiltrations au faciès ont été réalisées sous les ordres des
précités.
Ces
exfiltrations individuelles n’ont jamais eu pour objet d’évacuer
la place et de mettre un terme au dispositif mais seulement pour
objet de laisser sortir certaines personnes selon le faciès, des
critères d’âges et d’appartenance à une ethnie, une race ou
une religion vraie ou supposée.
Les
faits de discriminations semblent constitués. A tout le moins, il
existe des indices graves et/ou concordants justifiant les mises en
examen.
2.
le délit de violence aggravée
Les
textes d’incrimination ont été rappelés ci-dessus.
Les
faits
Les
attestations produites par les plaignants établissent la réalité
des violences subies.
Outre
les différentes attaques de gaz tout au long de la journée que les
images vidéo auraient illustrées, il faut retenir au moins que le
dispositif lui-même a choqué les personnes prise contre leur gré
dans cette nasse durant de très longues heures.
Le
dispositif contesté est violent par nature.
La
retenue pendant de nombreuse heures dans les conditions sus-décrites
est une maltraitance caractérisée qui a eu des conséquences sur de
nombreuses personnes. Certains témoins les ont décrites dans leur
attestation.
Identification
des auteurs
Au
regard des pièces de l’instruction, et en particulier des
auditions de M. DOUTRE, de M. le Préfet, de M. le Procureur et de M.
le Procureur Général, il est très clair que M. le DDSP DOUTRE a
été la cheville ouvrière, selon les termes mêmes de M. le Préfet
GERAULT, de cette opération de police. Il est tout aussi évident
que celle-ci n’a pu se réaliser qu’avec l’accord de ce dernier
qui reconnaît l’avoir validée, validation sans laquelle elle
n’aurait pas pu intervenir.
Les
auteurs principaux sont donc clairement identifiés.
Il
y a lieu toutefois de mentionner qu’un certain nombre de
fonctionnaires gradés et d’expérience ont sans doute exécuté
les ordres tendant à la mise en place de ce dispositif tout en
sachant que cet encerclement, long et violent, original à LYON par
son ampleur, était illégal.
La
qualification
Les
faits imposés aux victimes sont constitutifs de violences aggravées,
par la qualité des auteurs, leurs nombre, les armes, la
préméditation.
3.
Le délit d’atteinte arbitraire à la liberté individuelle par une
personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une
mission de service publique
Le
texte d’incrimination a été rappelé ci-dessus.
Les
faits
Les
faits sont établis. L’instruction a largement corroboré les
termes de la plainte initiale.
Le
dispositif mis en œuvre Place BELLECOUR le 21 octobre 2010 en début
d’après-midi a été attentatoire aux libertés individuelles, à
la liberté de manifester, à la liberté d’expression, et
principalement à la liberté de circulation, privation qui constitue
l’objet même de la mesure, à la sûreté des personnes.
Identification
des auteurs
Comme
indiqué plus haut, les auteurs ont été identifiés.
M.
DOUTRE a tenté de faire croire à l’intervention du parquet dans
la prise de décision sachant pertinemment qu’une telle mesure ne
pouvait se concevoir en droit sans réquisition. L’argument a fait
long feu. M. le Procureur et M. le Procureur Général ont été
entendus. A cette occasion ils ont tous deux clairement contredit les
propos du DDSP en indiquant qu’ils n’avaient délivré aucune
réquisition, et que le mis en cause ne leur avait pas même demandé
leur avis.
La
qualification
-
La nature de l’acte en cause, attentatoire aux libertés
publiques, est conforme aux exigences du texte. Il s’agit d’une
mesure de police préventive gravement attentatoire aux libertés ;
-
La qualité des auteurs est conforme également puisque M.
DOUTRE et M. le Préfet GUERAULT étaient tous deux dépositaires de
l’autorité publique ;
-
Les précités ont à l’évidence agit dans l’exercice de leur
fonction ;
-
Sur le caractère arbitraire de la mesure de police, les parties
souhaitent faire les observations qui suivent (V).
V/
Sur le caractère arbitraire de la mesure de police
1.
Sur la distinction entre la constitution du délit et la cause
d’irresponsabilité
Les
juges d’instruction confondent selon nous la notion d’arbitraire
et celle du fait justificatif.
Est
un État de Droit, un État dans lequel tous les individus ou
collectivités ont leurs activités déterminées et sanctionnées
par le droit.
Tous
mesure de police attentatoire aux libertés doit être clairement
autorisée par la loi à défaut elle ne peut être qu’arbitraire,
sauf fait justificatif, dûment prouvée par celui qui en excipe.
L’arbitraire
se définit en droit français comme en droit européen par l’absence
de fondement juridique à l’acte de police attentatoire aux
libertés.
Or,
il est constant qu’aucun texte ne permettait à l’autorité
de police, dans le cadre d’une mesure de police purement
administrative, c’est-à-dire purement préventive, sans la moindre
réquisition, pas même orale (à supposer que ce concept soit
juridiquement acceptable), de décider de priver plus de 700
personnes de leur liberté d’aller et venir pendant une durée de
six à sept heures, dans les conditions de violence décrites au
dossier.
Il
s’ensuit que la mesure était arbitraire au sens de l’article
432-4 du Code pénal visant le fait d'ordonner ou d'accomplir
arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle et
illégale au sens de l’article 432-5 du code pénal visant le fait
de s’abstenir volontairement de mettre fin à une privation de
liberté illégale.
En
conséquence, les juges d’instruction ne pouvaient motiver un
non-lieu en retenant divers éléments factuels semblant établir que
la mesure pouvait être utile et même indispensable au maintien de
l’ordre pour soutenir que le délit n’est pas constitué faute
« d’agissement d’arbitraire », c’est-à-dire en
retenant un moyen, procédant d’une analyse juridique erronée de
la notion d’arbitraire d’une part, et confondant les éléments
constitutifs du délit et son fait justificatif d’autre part.
La
notion d’arbitraire ne se rapporte en aucun cas d’un quelconque
fait justificatif au sens de l’article 122-7 du Code pénal.
L’opportunité
prétendue ou la nécessité, d’ailleurs non démontrée, de mettre
en œuvre une mesure manifestement illégale ne peut en aucun cas
établir que la mesure ne serait pas arbitraire.
En
matière de police, et à fortiori en matière de police gravement
attentatoire aux libertés individuelles, le caractère arbitraire de
la mesure découle nécessairement de l’absence de texte légal
fondant la mesure.
Le
délit étant constitué, pourrait se poser la question de savoir si
une exception est susceptible de constituer une cause de non
responsabilité.
A
cet égard, Force est de constater d’une part que le non- lieu
n’est pas expressément fondé sur l’exception de l’état de
nécessité et d’autre part que la charge de la preuve incombe à
celui qui en excipe, les magistrats en l’espèce.
A
ce sujet, plusieurs remarques s’imposent.
.
2.
Sur l’absence de fait justificatif
2.1
Selon l’article 122-7 du code pénal :
« N’est
pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger
imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte
nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y
a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la
menace. »
L’état
de nécessité selon la jurisprudence suppose que le délit
soit le moyen d’éviter un danger supérieur, imminent et
inévitable, caractère inévitable dont la preuve incombe au mis en
cause et qui suppose la démonstration que tout autre moyen ne
pouvait être mis en œuvre.
2.2
La motivation de l’ordonnance
Les
juges d’instruction, confondant le délit et sa justification, sans
démonstration juridique ni factuelle, ont choisi de rendre une
ordonnance de non-lieu en considérant que la mesure de police
revêtait un caractère de nécessité de nature à rendre
« légitime » en relevant que :
-
que des scènes de pillages et d’émeutes caractérisant un grave
défi lancé à l’autorité de l’Etat » avaient été
observées « courant octobre »
-
que le 21 octobre au matin un rassemblement de jeunes gens se
dessinait sur la place, où des groupements de casseurs avaient déjà
été observés »
-
que le nombre de personnes retenues aurait été de 500 personnes in
fine
-
que des manifestants ont lancé des pierres provoquant l’usage du
camion à eau sans précision sur l’heure des faits ;
-
« Attendu toutefois qu’il peut être raisonnablement admis
que les troubles du mois d’octobre 2010 revêtaient un caractère
exceptionnel de fait de leur répétition et de la difficulté
éprouvée par les forces de l’ordre pour procéder à des
interpellations de bandes qui se reconstituaient après dispersion et
se mêlaient aux manifestants ; que le faits étaient, (…) que
les fonctionnaires de police autant que les riverains et les
manifestants, adultes et surtout lycéens, étaient sévèrement
exposés dans leur intégrité et leurs biens ; qu’un
dispositif (…) a pu paraître nécessaire pour permettre à l’état
de mener à bien sa mission constitutionnelle de sécurité ;
que le « piégeage » sur la place BELLECOUR transformée
en « nasse » entre 12h et 14h ne paraît pas illégitime
dans la mesure où la montée en puissance de la présence policière
était parfaitement publique et que des manifestants ou simples
passants clairement identifiés ont pu être libérés en cours
d’après-midi »
2.3
Sur le caractère imminent
Il
ne serait être soutenu utilement que le danger auquel les services
de maintien de l’ordre se serait opposé était actuel ou imminent.
Très
clairement, les juges d’instruction ne font aucune démonstration
de cette nature.
Surtout,
rien n’indique au dossier que la manifestation du 21 octobre allait
dégénérer en des faits de violences rendant nécessaire la mesure
de police mise en œuvre.
Au
moment du blocage, la place était calme. La place BELLECOUR était
d’ailleurs calme depuis le matin.
Lors
de la fouille systématique des personnes se trouvant sur la place,
aucun indice n’a été trouvé permettant de soutenir (antécédents
notoires, équipements divers tels foulard, bombes lacrymogènes,
masques, protèges tibia, casques, armes etc) que des « casseurs »
avaient infiltré la manifestation.
Aucun
groupe réputé violent n’était repéré aux alentours de la
manifestation.
Les
débordements des jours précédents pouvaient faire redouter des
agissements similaires le 21 octobre mais n’étaient pas de nature
à constituer « l’état de nécessité » au sens de
l’article 122-7 du code pénal. Ces faits de violences dataient de
la veille. Ils n’étaient donc ni imminents ni actuels.
Les
services de police étaient en capacité de travailler selon des
méthodes plus classiques en repérant d’éventuels fauteurs de
trouble via les caméras de l’hélicoptère et de procéder aux
interpellations. A aucun moment, M. DOUTRE n’a pas expliqué de
façon crédible pourquoi cette mesure était indispensable.
Rien
n’indique que d’autres mesures de police, telle le repérage par
hélicoptère des personnes susceptibles de nuire par leur
comportement à l’ordre public et leur interpellation subséquente
aurait été insuffisante. Pourtant, le visionnage des films vidéo
réalisés par hélicoptère les 19 et 20 octobre, veille et
avant-veille des faits dont s’agit, que les forces de l’ordre
consentaient à communiquer, ont démontré la précision, la
rapidité et l’efficacité de ces interventions.
M.
DOUTRE lui-même reconnaissait que lorsque le dispositif était
décidé dans la matinée, puis mis en place en tout début
d’après-midi, alors qu’il n’existait aucun trouble sur
l’agglomération de LYON et encore moins sur la place BELLECOUR,
lieu du dispositif à cet instant.
Les
jets de pierre mentionnés par l’ORTC sont postérieurs à la mise
en place de la nasse. Ces jets de pierre, de faible intensité et de
courte durée, ont été provoqués par le dispositif lui-même
postérieurement au bouclage, pour la simple raison que celui-ci
interdisait de fait à une part des manifestants de rejoindre le
cortège.
La
mesure de police contestée n’a pas été mise en œuvre pour faire
face à un danger actuel ou imminent mais pour prévenir un risque
tiré de faits s’étant déroulés la veille dont nul ne peut dire
s’il se serait réalisé.
3.
Sur la jurisprudence AUSTIN ET AUTRES c. ROYAUME-UNI du 15 Mars 202
et la notion de circonstances exceptionnelles
Il
convient enfin d’insister sur le fait que la jurisprudence
européenne ne permet pas de soutenir, à titre préjudiciel, la
légalité de l’opération contestée.
Il
n’existe en la matière qu’une seule décision rendue par la Cour
Européenne des Droits de l’Homme relative à un dispositif de
confinement publié à ce jour. Il s’agit de l’arrêt AUSTIN et
autres C/ Royaume-Uni rendu le 15 mars 2012 par la grande chambre de
la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
La
lecture attentive de cet arrêt démontre le bien fondé des
prétentions des appelants. En aucun cas les circonstances décrites
dans cette affaire pour admettre la mesure de police contestée ne
peut justifier le rejet des demandes des parties, d’abord parce que
la mesure de police n’ »a pas du tout été menée de la même
façon, ensuite parce que les circonstances étaient très
différentes.
En
fait, le « kettling » sur Oxford-Circus le 1er
mai 2001, consistait en la mise en œuvre d’un cordon de Police
autour d’environ 2000 personnes. L’espèce jugée concernait donc
la mise en oeuvre de la même technique de police.
3.1
Les premiers juges faisaient une description des faits repris dans
l’arrêt de la Cour Européenne.
Il
s’agissait à LONDRES d’une manifestation :
-
sur le thème de la contestation du système capitaliste et de la
mondialisation ;
-
faisant suite à deux autres sur le même mot d’ordre ayant selon
l’arrêt « été le théâtre de très grave troubles à
l’ordre public » et d’ailleurs comparable à d’autres
manifestations « alter mondialiste » (page 5 de l’arrêt)
dans le monde pour des évènements internationaux, mention étant
faite de la présence en novembre 1999 (première des trois
manifestations à LONDRES) de 3000 à 5000 personnes portant des
masques.
-
faisant l’objet de renseignements de police selon lesquels «une
large coalition de groupements écologistes, anarchistes et d’extrême
gauche avaient l’intention d’organiser diverses manifestations
dans vingt-quatre endroits de LONDRES correspondant aux cases du
Monopoly, la journée devant se terminer par un rassemblement à
Oxford-Circus » ;
-
sans contact préalable avec la police et sans autorisation ;
-
dont des lieux multiples et avec des parcours qui avaient été
tenus secret ;
-
pour laquelle les participants étaient directement et indirectement
encouragés à porter des masques et à se livrer aux pillages et à
la violence ;
-
qui d’après le « Police special branch », allait
regrouper à un noyau dur de 500 à 1000 manifestants résolus à
chercher la confrontation et la violence (et équipés pour) ;
-
en vue de laquelle le Maire avait fait paraître en Mars et en Avril
plusieurs communiqués dénonçant les visées destructrices de cette
manifestation et appelant les londoniens à s’en tenir à l’écart.
-
en vue de laquelle il était fait appel aux fonctionnaires de police
les plus expérimentés et pour laquelle les premiers jugent
semblaient faire état d’une véritable concertation sur la
stratégie à adopter bien que le déroulement de la journée soit
peu prévisible, eu égard à la stratégie de certains des
manifestants ;
-
dont un certain nombre de participants à proximité de Oxford-Circus
étaient vu masqués.
-
qui prenait au dépourvu les policiers qui s’avéraient être en
nombre insuffisant devant le nombre de manifestants dès 14 h, pour
un rassemblement prévu à 16h.
-
pour laquelle des haut-parleurs avaient été installés les jours
précédents ce qui permettait qu’à 16h, les personnes retenues
étaient informées sur le dispositif ;
-
dont le bouclage aurait dû être en principe levé rapidement. Il
était ainsi procédé à de nombreuses tentatives de lever du
dispositif qui échouaient toutes en raison de la présence de
groupes violents à l’intérieur et à l’extérieur du
dispositif. Ces tentatives survenaient à 14h25, 16h55, 17h55, 19h30.
La libération intervenait entre 20h et 21h45.
3.2
En droit, les juges anglais retenaient une approche
« pragmatique », et jugeaient que ce dispositif
ne constituait pas une privation de liberté au sens de l’article
5-1 de la CEDH compte tenu d’une part du but de la mesure
consistant en la protection des biens et des personnes et, d’autre
part, des circonstances dans lesquelles il était mis en place.
Lords
HOPE, membre de la juridiction, évoquait cependant la durée du
bouclage en retenant que si celle-ci a été particulièrement
longue, cette durée ne devant faire aucune différence dès lors
qu’était établi « l’impossibilité de libérer quiconque
du cordon plus tôt » en raison « des circonstances
indépendantes de la volonté de la police ».
A
ce sujet, Lord Neuberger of Abbotsburry, également membre de la
juridiction, considérait que « s’il apparaissait par
exemple que la police avait maintenu le cordon, au-delà du temps
nécessaire pour maitriser la foule, tant en vue de sanctionner les
manifestants à l’intérieur du cordon que pour leur donner une
leçon, cela donnerait lieu, à mon sens, à des considérations très
différentes ».
Le
premier écrivait aussi « toute mesure doit être prise de
bonne foi et doit être proportionnée à la situation qui l’a
rendue nécessaire. Cela est essentiel pour préserver le principe
fondamental voulant que toute action qui affecte le droit à la
liberté d’une personne doit être dénué d’arbitraire. »
Enfin,
Walker of Gestinghope, membre de la juridiction, estimait que par
cette opération, des policiers expérimentés avaient eu pour but
d’éviter une catastrophe analogue à celle qui s’était produite
à Red Lion Square le 14 juin 1974 (un manifestant tué), le temps de
la levée du dispositif étant indépendante de la volonté des
autorités de police.
3.3
La Cour Européenne, sans être tenue par cette description factuelle
mais l’estimant adéquate, la reprenait en visant une
manifestation violente dont « un noyau dur de 500 à 1000
personnes », ce qui n’est pas le cas dans l’affaire
lyonnaise, et de nombreuses tentatives de lever le dispositif, « tout
au long de l’après midi et de la soirée », tentatives
avortées en raison de la violence des manifestants, ce qui n’est
pas non plus le cas dans notre affaire.
3.4
La Cour Européenne des Droits de l’Homme jugeait en droit ce qui
suit.
Le
Gouvernement, pour les motifs visés dans la première décision,
estimait qu’il n’y avait pas eu de privation de liberté au sens
de l’article 5-1 de la Convention, et subsidiairement, que cette
atteinte était justifiée au regard des articles 5-1 b ou plus
subsidiairement au regard de l’article 5-1 c de la Convention.
Les
requérants soutenaient la nécessité d’une analyse objective pour
déterminer l’existence éventuelle d’une privation de liberté,
un espace restreint, un temps non négligeable ; le but de la
mesure ne devant être considéré que pour apprécier une éventuelle
justification tirée des six buts des alinéas a) à f) de l’article
5-1.
En
premier lieu, la Cour estime utile de relever que l’article 5-1 ne
concerne pas les simples atteintes à la liberté de circuler,
lesquelles obéissent à l’article 2 du protocole 4 (57).
(Ce
Protocole n’a pas été ratifié par le Royaume-Uni mais il a été
ratifié par la France.)
En
second, la Cour énonce que pour déterminer si il y a eu une
privation de liberté au sens de la Convention, il faut faire une
appréciation concrète de la mesure à l’aide d’un faisceau
d’indices permettant d’apprécier l’intensité de la mesure tel
le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de
la mesure considérée (57).
En
troisième lieu, la Cour indique que le but de la mesure n’est pas
à prendre en compte pour déterminer s’il y a ou non privation de
liberté quoique cette question soit pertinente dans un second temps,
lorsque se pose le cas échéant la question de savoir si cette
privation de liberté était justifiée (58).
En
quatrième lieu, la Cour considère que, « sous réserve
qu’elles soient le résultat inévitable de circonstances échappant
au contrôle des autorités, qu’elles soient nécessaires pour
prévenir un risque réel d’atteintes graves aux personnes ou aux
biens et qu’elles soient limitées au minimum requis à cette fin,
des restrictions de liberté aussi courantes ne peuvent à bon droit
être regardées comme des privations de liberté au sens de
l’article 5-1. (59) ».
Les
critères posés par cet arrêt pour considérer qu’il n’y a pas
privation de liberté au sens de la convention sont donc :
-
des circonstances extérieures échappant au contrôle des
autorités ;
-
un risque réel d’atteintes graves aux personnes ou aux biens ;
-
une réponse policière limitant l’atteinte aux libertés au
minimum ;
Ces
critères ont vocation à permettre la mise en œuvre, dans les
circonstances ainsi circonscrites, de l’obligation d’assurer le
maintien de l’ordre et la protection du public qui pèse en droit
interne et en droit européen sur la police.
3.5
Appliquant ces critères au cas d’espèce, la Cour retenait la
présence de 500 à 1000 personnes violentes constituant le « noyau
dur » des manifestants, l’existence d’un risque réel de
dommages graves voire de décès, le fait que les policiers avaient
été pris au dépourvu par une manifestation difficilement lisible.
La Cour insiste et détaille de multiples tentatives, la première
dès les cinq premières minutes, de mettre fin au dispositif,
tentatives manquées du fait de la présence de groupes violents à
l’intérieur et à l’extérieur du dispositif (62;63).
En
conséquence, la Cour considérait qu’il n’y avait pas eu de
« privation de liberté » au sens de la convention,
disant dans le même temps ne pas avoir à analyser l’existence
éventuelle de justification en application des alinéas b) et c) de
l’article 5.
Il
y a lieu de rajouter que si les requérants ont échoué dans cette
affaire à se prévaloir utilement d’une privation de liberté sur
le fondement de l’article 5 de la Convention Européenne des Droits
de l’Homme, la Cour évoque toutefois, d’initiative, le protocole
4 non ratifié par le Royaume-Uni. En citant ces dispositions, la
Cour laisse manifestement entendre que des « restrictions »
au sens du Protocole Additionnel plutôt que « des privations »
de liberté au sens de l’article 5 de la convention auraient pu
être caractérisées dans l’affaire AUSTIN mais que le Royaume-Uni
ne pouvait être condamné sur ce fondement, cet Etat n’ayant pas
ratifié le protocole.
On rappellera ici que la France a, en ce qui la concerne, ratifié
ledit protocole.
Hors,
comme l’ « atteinte aux libertés » au sens de
l’article 5-1 de la CEDH, la « restriction de liberté »
au sens de l’article 2 du Protocole 4 est constitutive d’un acte
attentatoire aux libertés et entre dans le champs d’application
des articles 432-4 ; 432-5 ; 431-1 du Code pénal.
La
liberté de circuler est définie l’article 2 du protocole 4 du
16.9.1963 à la convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et
des Libertés fondamentales, reconnaissant certains droits et
libertés autres que ceux figurant déjà dans la convention et dans
le premier Protocole additionnel à la convention.
Selon
ce texte,
«
1 Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y
circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.
2 Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le
sien.
3 L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que
celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique,
au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à
la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et
libertés d’autrui. »
1 Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y
circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.
2 Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le
sien.
3 L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que
celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique,
au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à
la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et
libertés d’autrui. »
3.6
L’application de la décision de la Cour doit conduire la Chambre
de l’instruction à faire droit aux demandes des requérants.
Ces
derniers ne contestent pas la nécessité de procéder à une analyse
« in concreto ». Les plaignants ne contestent pas
d’avantages les critères d’appréciation fixés par la
jurisprudence européenne.
Les
parties civiles constatent qu’en l’espèce tous les critères
définissant « la privation de liberté » sont réunis, à
titre subsidiaire, et que les critères définissant la restriction
de liberté sont également réunis.
3.6.1
Au plan factuel il faut relever ce qui suit.
A
titre préliminaire, il est certain que le déroulement des faits
aurait été plus précisément décrit si les autorités avaient
communiqué le film vidéo de la manifestation réalisé durant toute
l’après-midi par les caméras embarquées sur l’hélicoptère se
trouvant en station juste à cents mêtres au-dessus de la place.
Le
refus de communiquer ces images signe une volonté manifeste de
dissimulation des autorités mis en cause.
La
manifestation organisée à LYON avait pour objet de contester un
projet de loi concernant notamment les conditions de départ à la
retraite des salariés français.
Les
syndicats et organisations professionnelles participants
habituellement à la vie politique française appelaient à cette
manifestation.
Aucune
organisation « altermondialiste », crainte ou connue pour
des actions violentes, n’avait annoncé vouloir participer à cette
manifestation qui revêtait une dimension locale, d’autres
manifestations étant organisées dans d’autres villes le même
jour.
Les
organisations syndicales avaient averti les autorités préfectorales,
se soumettant ainsi à l’obligation de déclaration préalable,
laissant à l’Etat la possibilité d’interdire la manifestation,
ce que le Préfet n’avait pas jugé utile de faire bien qu’il
eut pu jusqu’au dernier moment ;
Se
faisant, les organisations syndicales déclaraient dans le même
temps le lieu de rassemblement et le trajet que devait emprunter le
cortège, indications qui allait être parfaitement respectées ;
Nonobstant
des troubles survenus la veille et l’avant-veille dans le
centre-ville de LYON, la matinée du jour de la manifestation n’avait
été marquée par aucun incident ;
Le
rassemblement des manifestants à partir de midi pour une
manifestation pacifique qui devait partir de la Place BELLECOUR
s’effectuait dans le calme, sans motif d’interpellation.
Aucun
« noyau dur » de manifestants, aucune personne armée ou
semblant vouloir attenter aux personnes ou aux biens n’était
repéré. Les services de police ne procédaient à aucune
interpellation avant le bouclage de la place.
Vers
19 heure, les fouilles systématiques de chaque personne libérée
(outre vérification ou contrôle d’identité et photo)
démontraient à postériori qu’aucun des manifestants n’était
connu pour avoir participé en France ou à l’étranger à des
manifestations violentes ; Il n’était saisi sur les
manifestants ou sur la place aucune arme ni aucun objet de toute
nature (masque ou autre) dont un manifestant doté d’intention
malveillante aurait été susceptible de se munir.
La
mise en place du « kettling » intervenait à 12h, et
concernait au moins 700 personnes sur un périmètre correspondant à
la surface de la Place.
La
manifestation était coupée en deux parties, l’une dans le
bouclage, l’autre à l’extérieur.
Les
manifestants libres de se mouvoir n’étaient pas violents. Ils ne
faisaient l’objet d’aucune mesure de police particulière. Des
représentants syndicaux tentaient de négocier avec des responsables
de la police la fin du bouclage, à tout le moins, la libération du
maximum de personnes. Ces tentatives de négociations se faisaient
dans le calme. La négociation permettait la sortie de quelques
dizaine de personnes.
Plus
tard, vers 16h, la manifestation s’ébranlait, laissant sur place
les manifestants pris dans la nasse. Ce départ de la manifestation,
qualifié de véritable abandon des personnes retenues par certains,
devait laisser de profondes dissensions dans le mouvement social.
Le
défilé partait tardivement et se déroulait jusqu’à son lieu
d’arrivée, sans violence, sans incident, les manifestants
encerclés restant seuls sur la place BELLECOUR, de 16h à 19h, sans
le moindre groupe violent aux alentours.
Durant
cette rétention, les services de police n’envisageaient à aucun
moment de libérer les personnes retenues.
Aucune
information ne leur était communiquées sur la durée de cette
rétention ni sur les causes de cette retenue … sauf de fausses
annonces de libération dans un coin opposé, provoquant des
mouvements de personnes qui étaient reçues par des gaz
lacrymogènes.
Au
contraire, les manifestants ne mettaient jamais en difficulté le
double cordon de CRS positionné autour du périmètre.
Ce
cordon n’était la cible d’aucun assaut, ni de l’extérieur, ni
de l’intérieur.
3.6.2
Au plan juridique, s’agissant d’un fait justificatif, la
pleine démonstration appartient aux mis en cause.
Surtout,
il apparaît très clairement que les trois critères énoncés par
la Cour Européenne doivent conduire la chambre de l’Instruction à
juger qu’il existe des indices graves ou concordants à l’encontre
des mis en cause. Sans qu’il soit besoin de les reprendre tous, il
convient d’articuler les trois critères juridique précédemment
exposés avec les éléments de faits décrits plus concernant
l’affaire « AUSTIN » d’une part et la présente
espèce d’autre part.
Les
deux affaires sont très différentes.
Dans
la présente affaire, la réalité du risque fondé sur des
considérations factuelles tenant au déroulement de la
manifestation, dit autrement, le caractère imminent de la
réalisation du risque, n’est pas démontrable. La manifestation du
21 octobre, en l’absence de toute intervention de police, aurait
sans doute pu se dérouler sans incident.
► Il
n’existait pas de circonstances extérieures échappant au
contrôle des autorités.
Il
n’existait aucune circonstance extérieure au jour du 21 octobre
2010 échappant au contrôle des autorités.
Durant
toute la journée, la situation a été sous contrôle.
Contrairement
à l’affaire « AUSTIN », la manifestation était
autorisée, son trajet connu. Au plan géographique, la manifestation
était donc lisible, prévisible. Cela était très différent à
LONDRES, seul le point de convergence des quatorze départs prévus
étant connu avec certitude.
Contrairement
aux circonstances londoniennes, les services de police n’ont jamais
soutenu avoir été pris au dépourvu.
L’afflux
des manifestants était conforme aux prévisions de lieu et de
nombre.
Les
revendications étaient connues.
La
journée était calme en matinée.
Aucun
évènement lors du déroulement de la manifestation n’a justifié
la mise en place du dispositif.
Il
n’a par ailleurs jamais été démontré ni même soutenu que
d’autres techniques de police plus conventionnelle, telles des
interpellations en cas de trouble à l’ordre public, n’aurait pas
suffi au maintien de l’ordre, à supposer que ce jour-là l’ordre
ait été troublé, ce que nul ne démontre.
► Il
n’existait pas de risque réel d’atteintes graves aux personnes
ou aux biens ;
L’existence
d’un risque de trouble ne peut être nié au regard des faits
survenus la veille.
Pour
autant, nul ne peut prétendre que ce risque allait se réaliser,
qu’il était « réel » au sens de la jurisprudence de
la cour Européenne.
Dans
l’affaire AUSTIN, l’existence d’un risque grave à prévenir
est tiré de constatations faites les jours précédents
(organisations spécifiques des manifestants, appel du Maire, nature
des groupes appelant à manifester, appel au pillage et à la
violence) se rapportant directement au jour de la manifestation.
Mais
le risque est d’avantage tiré de constats faits le jour même, de
nature à démontrer selon la Cour la réalité de celui-ci.
Ainsi,
en Angleterre, la décision a été prise devant une situation de
fait qui a semblé imposer la mesure de police contestée alors qu’à
LYON la mesure a été décidé et mise en place alors que la
manifestation n’avait pas encore commencé, que le rassemblement
n’était pas encore effectif.
Dans
ces conditions, les faits survenus la veille ne peuvent suffire à
caractériser un risque réel justifiant d’une atteinte aussi grave
aux libertés d’aller et venir, au droit d’expression et de
manifestation.
► La
réponse policière n’a tenu aucun compte de la nécessité de
restreindre au maximum la portée du dispositif.
Ce
fait est établi par les constatations suivantes :
Les
autorités n’ont jamais prétendue a souhaité lever le dispositif
rapidement, aussi rapidement que la situation le permettait ;
Dès
16 h, les manifestants qui n’étaient pas retenus avaient quitté
les lieux de sorte que la levée partielle ou progressive du
dispositif était possible, aucun groupe « hostile » ne
se trouvant à proximité ;
Il
n’a été procédé à aucune tentative de levée du dispositif
jusqu’à 19h.
Ce
dispositif de blocage s’est révélé véritablement punitif, de
par notamment sa longueur, l’absence de toute information délivrée
aux personnes retenues, les mauvais traitements, la présence
constante d’un hélicoptère et du bris de ses pals, la peur, le
sentiment de n’être plus rien, la pression psychologique imposée
aux victimes de ce dispositif.
Comme
d écrit plus haut par différents témoignage, les personnes
retenues, souvent mineurs, ont été traumatisé par cet évènement
et nombre d’entre-elles se sont ensuite abstenues de participer à
toute manifestation ultérieure.
En
conclusion, il y a lieu de rejeter tout argumentaire tendant à
justifier le dispositif contesté soit au moyen qu’il ne s’agirait
pas d’une atteinte aux libertés au sens de l’article 5-1 de la
CEDH, soit que cette atteinte serait justifiée.
Conclusion
En
considération des éléments développés ci-dessus, il apparaît
qu’il existe des indices graves et concordants lesquels justifient
le renvoi devant le tribunal correctionnel qui seul est compétent
pour juger de leur culpabilité éventuelle.
En
présence de ces indices graves et concordants, les juges
d’instruction ne pouvaient pas porter une appréciation sur la
culpabilité de ces derniers en exposant sans démonstration
suffisante que « le « piégeage » sur la place
BELLECOUR ne paraissait pas illégitime, portant ainsi une
appréciation de fond sur une question qui doit nécessairement être
soumise à la juridiction de jugement.
La
légalité de ce type de mesure de police administrative, à
caractère préventif, et gravement attentatoire aux libertés,
mettant également en cause l’autorité du parquet et le principe
de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire en matière de
police, doit être soumise à l’appréciation d’une juridiction
présentant toutes les garanties d’indépendance nécessaires.
La
présomption d’innocence demeure mais les indices graves ou
concordants sont réunis en l’espèce.
PAR
CES MOTIFS
-
Vu les Principes Constitutionnels dont la liberté d’aller et
venir, la sûreté des personnes, la liberté d’expression, la
liberté de manifestation politique et de réunion, la séparation
des pouvoirs exécutif et judiciaire ;
-
Vu notamment les articles 5 ; 10 ; 11 de la CEDH et 2
du Protocole 4 additionnel ;
-
Vu les articles 222-11 ; 222-13 ; 225-1 ; 432-4 ;
432-7 ; 432-5 ; 431-1 du code pénal ;
-
Vu les articles 177 ; 183 ; 186 du code de procédure
pénale ;
Les
parties civiles demandent à la chambre de l’instruction de LYON de
bien vouloir :
► Infirmer
l’ordonnance de non-lieu dont appel rendu par les juges
d’instruction ;
► Renvoyer
l’affaire à tel juge d’instruction qu’il plaira ;
► Ordonner
la mise en examen de M. DOUTRE, et de M. le Préfet GERAULT pour
avoir commis les faits et sur les fondements ci-dessus explicités ;
► Dire
qu’il y a lieu au renvoi des précités devant le tribunal
correctionnel pour être jugés.
SOUS
TOUTES RESERVES.
1
Rapport 2010 p.4.
2
Précis sur les droits de l’homme n°5, document émanant du
Conseil de l’Europe
3
Arrêt Kurt c/ Turquie, arrêt du 25 mai 1998,
4
Arrêt Dayanan c. Turquie, no 7377/03 et
arrêts Salduz c. Turquie, no
36391/02 (26.4.07) et Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02,
(27.11.08)
5
CEDH requête n° 3168 4/04 ;
6
CEDH Oya Ataman c/ Turquie, requête n° 7455 2/01) ;
7
CEDH Djavit An c/ Turquie, n° 2065 2/95, § 56, CEDH 2003 – II
8
CEDH Ashouguian c/ Arménie, n° 3228 6/03 § 89, 17 juil. 2008 ;